Culture

Visages en mouvement, regards effacés : autour du « Singulier du pluriel » de Mustapha Belkadi

  • Par : Mohamed El omary//

Rabat, 9 mai, À la galerie de la Fondation Mohammed VI, l’artiste peintre Mustapha Belkadi inaugure aujourd’hui son exposition intitulée le singulier du pluriel.

Une œuvre profondément enracinée dans l’imaginaire populaire marocain, qui interpelle autant par sa forme que par sa portée symbolique.

Trois tableaux, en apparence similaires, forment un triptyque vivant et presque sonore : des groupes de musiciens populaires (chanteurs, joueurs de luth, de bendir, de violon) s’animent dans un espace qui célèbre la collectivité.

Pourtant, au-delà de la musicalité des scènes, ce sont les visages, leurs expressions et leurs absences qui parlent le plus fort.

Un proverbe marocain dit : « Celui qui danse ne cache pas son visage. C’est ce proverbe qui résonne comme une clé de lecture essentielle de cette exposition. Car dans l’univers de Belkadi, le geste artistique est un dévoilement.

Ceux qui chantent, qui jouent, qui animent le monde par la musique, se donnent à voir sans retenue.

Leurs traits sont nets, expressifs, pleins d’une humanité charnelle. Le visage, ici, est l’outil par lequel passe l’émotion du collectif, le lien au monde, la reconnaissance sociale.

Mais il y a, en contrepoint, une autre série de représentations que Belkadi a explorée dans ses œuvres : celle des femmes dont les yeux, parfois tout le visage, sont recouverts de voiles épais, d’habits lourds, d’opacités visuelles.

Dans ces toiles-là, le silence est dominant. Le vêtement ne protège plus, il efface.

Il enferme les femmes dans un anonymat si radical qu’il en devient une forme d’inexistence symbolique. L’individualité est dissoute, l’identité est neutralisée, la parole est absorbée par le tissu.

Il y a là une tension fondamentale que Belkadi met en lumière : entre l’exposition de soi, comme acte de reconnaissance sociale (à travers l’art, la musique, la parole) et l’effacement de soi, imposé ou intériorisé, qui fait du corps une absence.

En choisissant le titre le singulier du pluriel, l’artiste rappelle que même dans la foule, même dans le groupe, l’individu cherche à exister.

Mais toutes les individualités ne sont pas logées à la même enseigne. Il y a ceux qui osent se montrer, et ceux qu’on empêche d’apparaître.

Belkadi ne moralise pas. Il documente. Il fait apparaître la joie, la musique, les couleurs éclatantes d’un Maroc pluriel, mais aussi les non-dits, les exclusions douces, les formes d’invisibilisation ordinaires.

Son art devient alors un espace d’interpellation sociale : pourquoi certains visages sont-ils permis et d’autres interdits ?

Pourquoi certains corps sont-ils célébrés dans l’espace public, tandis que d’autres y sont effacés?

En donnant à voir des musiciens, souvent modestes, mais dont les visages sont pleinement présents, Belkadi oppose une poétique de la visibilité à une politique de l’effacement.

L’artiste nous invite, peut-être, à repenser les formes de présence et d’absence dans nos sociétés.

À reconnaître les visages avant qu’ils ne disparaissent.

          

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