The killer de David Fincher: Une question de méthode
- Mohammed Bakrim
Une surprise qui prend de court les cinéphiles : David Fincher récidive et présente son nouveau film, The Killer, sur une plateforme de streaming (au menu de la plateforme à partir du 10 novembre 2023).
Après Mank (2020), le voyage en noir et blanc dans la planète Hollywood, il confirme ce qu’il avait dit sur les salles de cinéma : « Il faut passer outre toute cette nostalgie pour se poser enfin la bonne question : qui offre aujourd’hui la représentation optimale?».
La réponse est apparemment évidente, la présentation du film en sélection officielle à la Mostra au nom de la célèbre plateforme a été un moment fort et une nouvelle pièce majeure versée dans le débat : quel destin public pour un film aujourd’hui.
Ce faisant, David Fincher rejoint de grands noms du cinéma d’auteur qui ont entamé la « désacralisation » de la salle de cinéma. Je cite en exemple emblématique Martin Scorsese ou encore le sud-coréen Bong Joon-Ho qui avec l’expérience de Okja n’a pas tari d’éloges à l’égard de cette nouvelle formule de production et de diffusion.
David Fincher avait déjà travaillé directement pour la télévision ; il avait tourné des épisodes de la fameuse série House of cards (2014). Il reste néanmoins une référence pour les cinéphiles.
La sortie de son nouveau film donne lieu à un retour sur une filmographie qui a autant divisé que créer des chapelles autour de quelques titres phares de la planète cinéphile.
Ici et là on publie des classements parmi ces titres. Je cède volontiers à l’exercice en partageant avec vous mon Top cinq de la filmographie Fincher.
En haut du podium et sans aucune hésitation, mon préféré depuis le début, Zodiac (2007) : l’intrigue, la mise en scène (tout en puzzle à l’image de l’intrigue et en constitue une sorte de parabole) et le casting.
Et puis le destin d’un personnage habité par quelque chose et elle lui consacre toute sa vie. Seven (1995) pour l’ambiance ; l‘atmosphère de la ville sombre, sous la pluie avec un Morgan Freeman crépusculaire et son imperméable ; son duo avec Brad Pitt…Gone Girl (2014), labyrinthe psychologique porté par un magnifique duo, Ben Affleck et Rosamund Pike, et qui se laisse voir comme…un roman ; c’est-à-dire on ne s’en lasse pas. Mank (2020) bien sûr ; impossible qu’il ne figure pas sur cette liste.
Un exercice cinéphile par excellence autour du film fondateur de la modernité cinématographique, Citizen Kane. Et puis Panic room (2002), parce c’est le préféré de… mon fils ! C’est un fan de Forest Whitaker. Pas seulement en fait ; c’est une leçon de mise en scène ; un thriller bien monté au rythme soutenu.
Une métaphore un peu dure de la nouvelle urbanité où les vies sont verrouillées et où les bons sont acculés au sacrifice.
Quelle place pour The killer dans ce classement ? Il ne détrônera certainement pas Zodiac et se glissera juste après Seven. Oui, c’est un bon David Fincher. À l’image de son personnage principal ; linéaire et méthodique.
Oui, tout est question de méthode. Elle est déclinée dès la séquence d’ouverture et sera mise en application le long du récit mené comme des chapitres d’un journal de voyage. L’indication du numéro des chapitres n’est pas sans rappeler Kill Bill de Quentin Tarantino.
Ici aussi il s’agit de règlement de compte. De vengeance…calculée. Je peux résumer les faits sans nuire au plaisir de voir car l’enjeu du film est ailleurs ; dans la méthode, je rappelle. Un tueur à gage implacable, une véritable machine à tuer, rate cette fois son coup.
Les commanditaires, pour le piéger s’en prennent à sa petite amie. Mal leur en a pris. Tout le film est une chasse aux coupables. Schéma narratif éculé d’un fim d’action B ? Tout est dans la manière.
David Fincher installe une grammaire du récit qui sait retourner les clichés pour leur donner un nouvel impact. La séquence d’ouverture donne le ton. Le protagoniste que nous découvrons en posture d’exercice, se préparant à agir est un personnage de notre temps.
C’est un prototype ; hyperconnecté et mobilise tous les gadgets de la modernité numérique pour s’orienter, et mener à bien ses projets. C’est aussi un enfant de la mondialisation ; on va beaucoup voyager avec lui.
La voix off omniprésente finit par devenir familière car finalement on la perçoit comme une composante du personnage. Elle rappelle son credo et revient quand la tension monte : « pas d’empathie ; c’est une faiblesse et la faiblesse est un signe de vulnérabilité ». Elle est le lieu d’où une émane une certaine philosophie du geste, en l’occurrence le meurtre.
Le meurtre comme figure radicale de la violence qui traverse les rapports sociaux à l’âge du néolibéralisme triomphant ; une radioscopie du cynisme ambiant.
- Respecte le plan
- Anticipe, n’improvise pas
- Ne fais confiance à personne
- Ne mène que le combat pour lequel on te paye
N’est-ce pas le programme implicite des jeunes loups de la finance ? Le management ne forme-t-il pas des « tueurs » avec l’idéologie du risque zéro, de la compétition et du rendement ?
La traque de ceux qui ont commandité l’élimination du « risque » va se décliner à travers six chapitres, un prologue et un épilogue (heureux, disons-le). Chaque chapitre est porté par un lieu et par un personnage.
Le passage d’un lieu à un autre indique une progression dans l’information et se clôt pas l’élimination de la source. J’ai particulièrement apprécié deux chapitres.
Le cinquième, à New-York, lorsque le tueur parvient à retrouver « l’expert » qui n’est autre que Tilda Swinton. Son face à face avec Michael Fassbinder est un moment fort du film ; la rencontre au sommet de deux meurtriers, implacables froids et déterminés. On la retrouvant, elle sait qu’elle va la tuer ayant fait partie de l’équipe qui avait agressé sa maison.
Mais c’est aussi (surtout !) un moment fort du cinéma avec deux grands comédiens. A un certain moment j’ai eu l’impression que l’acteur, au-delà du personnage, est lui-même fasciné par cette présence, cette aura qui se dégage de l’interprétation pure de Tilda Swinton.
Cela me rappelle un autre face à face inoubliable entre deux gants : De Niro et Al Pacino dans Heat de Michael Mann.
Le chapitre six est également à retenir. C’est le point ultime de la quête. Le tueur a réussi à localiser (au sens GPS du mot) « le client » celui par qui tout est arrivé.
Retranché dans une maison high tec ; ultra protégée. Mais tout cela n’a servi à rien face à l’intelligence humaine qui a triomphé ici de l’intelligence artificielle.
Au comble de cette leçon, le tueur ne prend pas sa revanche et contrairement aux autres chapitres, il ne tue pas le client, non pas par compassion, celle-ci est bannie de son programme mais par calcul.
Il va même le menacer qu’il reviendra un jour ; la mort, inéluctable, n’est que reportée. Laisser planer la menace, peut-être la forme extrême, la plus cynique de la vengeance. Une question de méthode encore.
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