Culture

Tawras de Rachid Zaki : Un road movie poétique et spirituel

  • Mohammed Bakrim//

Il m’avait fait l’honneur de me donner à lire certains de ses scripts, j’ai découvert alors un Rachid Zaki à l’écriture sensible et fluide, nourrie d’une riche culture ; avec un sens aigu d’aller très vite à l’essentiel : en deux ou trois phrases, il dessinait les traits d’une atmosphère, d’une ambiance qui portera le récit.

Aujourd’hui, il nous présente son nouveau film, Tawras, sur un scénario de Fatima Zohra Moulhime, un documentaire sur l’espace et la culture hassanis. Il faudra au préalable saluer l’initiative de la Fédération nationale des ciné-clubs qui a organisé à Casablanca une projection publique du film dans une version que l’auteur lui-même a qualifié d’ « expérimentale ».

Ce faisant, la FNCCM est dans son rôle ; celui de rendre visible un genre que les dures lois du marché condamnent à l’oubli ou pour le moins à des programmations éphémères dans des festivals anonymes ou à des passages à la télévision qui comme chacun le sait, préfère le reportage et impose au documentaire et l’horaire et le format et la durée…sinon plus.

Tawras disons-le d’emblée tient ses promesses. Abordant ce genre prestigieux du cinéma, Rachid Zaki, me semble-t-il, a commencé par « neutraliser » ou mettre momentanément en mode pause sa formation/ déformation de journaliste de télévision où l’on vous apprend plutôt à couper, à faire vite…pour laisser de la place à la pub. Tawras échappe à cette loi d’airain de l’écriture masse-médiatique (télé ; Web…). Il prend son temps.

Deuxième remarque préalable, il aborde le documentaire en traitant d’un espace et d’une culture qui sont, pour lui qui est vient d’une grande ville, d’une altérité absolue (centre Vs périphérie ; urbain Vs désert ; darija Vs hassani…).

Il quitte le proche pour le lointain, réhabilitant une règle majeure du documentaire ; celle que je qualifie d’esthétique de l’hospitalité.

Au moment où une certaine tendance du documentaire (au Maroc, au Maghreb…mais pas seulement) se replie sur soi (le documentaire familial, films de l’intime…) cherchant l’autre au coin de la rue, dans la proximité immédiate (peur du monde globalisé ?) Rachid Zaki réhabilite le documentaire du lointain, de l’inconnu selon la tradition des maitres fondateurs (Falherty).

Il parle lui-même du « désir » de découverte, du sentiment d’étonnement face à l’autre incarné par le vide du désert ; face à une langue autre, celle de la nature et des gens. En un sens, entamer un voyage (dans le film Tawras qui vient du hassani est tantôt traduit en « route » tantôt en « voyage »)

Un voyage physique et métaphysique à travers la complexité des signes. Cela suppose une préparation, un dispositif comme l’illustre très bien la séquence d’ouverture.

C’est l’aube, il fait encore nuit. Un homme en action, prépare son véhicule pour ce qui s’annonce comme un long voyage : doublement signifié par l’image et la bande son avec les célèbres versets coraniques qui accompagnent le voyageur.

Un double ancrage ouvre le film ; dans le temps et dans l’espace. La nuit pour aller vers la clarté du jour : c’est un voyage de l’obscurité vers la lumière ; une métaphore de ce qui sera le parcours du spectateur lui-même : sortir de l’obscurité de l’ignorance (d’une culture) vers la lumière d’une nouvelle connaissance.

Tawras de Rachid Zaki : Un road movie poétique et spirituel - agadirtoday.com

Un dispositif adéquat sera organisé dans ce sens avec l’apparition en deuxième temps du protagoniste, Mouloud, c’est lui le maître d’œuvre du projet.

Le voyage est inscrit dans une finalité précise, celle de retour aux sources (l’image n’est pas seulement rhétorique : il y aura des sources d’eau en route).

La belle trouvaille de la mise en scène est de ne pas faire apparaître les deux personnages d’emblée dans la même scène : il y a d’abord les préparatifs et puis l’explication avec le deuxième personnage. C’est comme pour un film !

Mouloud est le personnage relais ; il représente le spectateur à l’écran ; il pose les questions que nous nous posons ; prend des notes et n’hésite pas à interroger des récits de mythologie par des réflexions qui se veulent rationnelles.

Comme lors du débat en présence de son père sur la manière de se repérer dans les vastes espaces désertiques. Il se perd un peu quand on lui explique que s’orienter par des étoiles change du jour comme de nuit. Une leçon de relativité loin de la physique d’Einstein.

C’est une logique qu’il faut accepter et à laquelle il faut adhérer,  en laquelle il faut croire.

Une logique qui dicte une esthétique, une temporalité que le film à travailler à respecter malgré les contrainte institutionnelles (en amont avec la production et en aval avec la diffusion) notamment.

Avec en particulier une structure narrative qui obéit au temps culturel du récit : à un certain moment Mouloud veut monter dans la voiture mais il souffre d’un mal urbain, rare chez les originaires du sahara, le mal de dos.

La caméra prend son temps pour suivre ses efforts répétés pour monter dans la voiture. Comme je le dis à mes étudiants, dans la fiction n’oubliez pas les ciseaux (conseil d’Eisenstein le maître du montage) dans le documentaire par contre oubliez les ciseaux.

Et dans ce sens j’ai apprécié que le film n’abuse pas d’images de drone : des images de facilité sans point de vue qui tuent le documentaire !

La bande son doit être également au diapason de ce dispositif « culturel » avec moins de musique of,  envahissante et artificielle ;  ouvrir la bande son aux « bruits », aux sons qui émanent de ce « silence » qui invite au recueillement et à la méditation.

          

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