Politique

Quand le ministre oublie la constitution

  • Abderrafie Hamdi //

« Le ministre est élu par le peuple, alors que les présidents des institutions constitutionnelles sont simplement nommés, payés… et donnent leur avis. »

Cette déclaration n’est pas celle d’un chroniqueur provocateur ni d’un citoyen frustré, mais celle, publique et assumée, du ministre de la Justice, s’exprimant devant les parlementaires Elle visait l’avis de deux institutions constitutionnelles – l’Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption, et le Conseil économique, social et environnemental – autour du projet de réforme du Code de procédure pénale.

Un ministre a bien sûr le droit de ne pas être d’accord avec une institution, d’en discuter les avis ou les recommandations. Mais peut-il pour autant tourner en dérision leur légitimité, attaquer leurs responsables et réduire l’idée même de représentation à un simple résultat électoral?

Les démocraties modernes ne reposent plus uniquement sur le suffrage. Elles s’appuient aussi sur des contre-pouvoirs, des espaces de réflexion et des mécanismes de régulation indépendants, garants de l’éthique publique.

C’est tout le rôle des institutions de gouvernance : elles ne sont pas des accessoires, mais des composantes essentielles de la démocratie.

Leur légitimité ne vient pas des urnes, mais de leur mandat constitutionnel, de leur compétence et de leur indépendance.
Comme le souligne le philosophe Jürgen Habermas : «La démocratie ne se limite pas au vote, elle repose sur des espaces délibératifs où la société peut se penser elle-même.»

Dans cette optique, les institutions de gouvernance ne sont ni des technostructures, ni des agences bureaucratiques.

Elles traduisent une volonté collective de faire entrer l’équité et la raison dans le cœur même du pouvoir.

Abdallah Laroui parlait à leur sujet de « domestication du pouvoir » – une belle formule pour désigner ce processus de mise en discipline de l’autorité par le droit, la connaissance et l’intérêt général.

En 2011, le Maroc a fait le choix de constitutionnaliser ces institutions, affirmant ainsi leur importance dans le fonctionnement de l’État.

Mais une décennie plus tard, il apparaît que cette évolution juridique n’a pas toujours été accompagnée d’une culture politique apte à en saisir le sens et la portée.

Les propos du ministre en sont une illustration : ils méconnaissent la pluralité des formes de légitimité reconnues par la Constitution marocaine :

• Une légitimité électorale, issue du suffrage et portée par les responsables politiques ;

• Une légitimité constitutionnelle, incarnée par les institutions nommées, qui exercent des missions complémentaires, avec tout autant de légitimité ;

• Une légitimité sociétale, portée par les organisations de la société civile.
En restreignant la représentation à la seule figure du ministre, on nie la richesse du système et on affaiblit l’équilibre qu’il cherche à construire.

La démocratie ne consiste pas en une chaîne de commandement, mais en une division intelligente des fonctions.
John Stuart Mill écrivait : « La liberté politique, ce n’est pas de dire tout ce que l’on pense, c’est de savoir quand parler, quand se taire, et comment peser ses mots.»

Respecter les institutions de gouvernance, ce n’est pas une formalité : c’est une exigence démocratique. Car ce respect conditionne la confiance du citoyen, la solidité de l’État, et la crédibilité d’une démocratie en construction.

Il permet aussi d’éviter les confusions dangereuses entre légitimité politique et pouvoir réel.

Dix ans après leur constitutionnalisation, ces institutions sont-elles pleinement acceptées comme partenaires du jeu démocratique?

Ou reste-t-il, chez certains, un fond de méfiance, comme si leur rôle dérangeait encore?

          

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page