Liban face à l’impasse de Taëf
- Abderrafie Hamdi //
Jeudi 9 janvier, le Parlement libanais s’est réuni pour élire un nouveau président de la République, après plus de 800 jours d’absence de chef d’État et un palais présidentiel à Baabda laissé vacant. Cette session, diffusée en direct sur une chaîne satellitaire arabe, a marqué un moment symbolique dans l’histoire politique du pays.
Les 128 députés, représentant 17 courants politiques, étaient présents. Ils ont rivalisé d’élégance, illustrant cet attachement libanais à une esthétique qui reflète l’âme et la civilisation. Mais cette élégance excessive était-elle une célébration de la défaite de Bachar al-Assad à Damas et du recul du Hezbollah au Sud, ou bien un deuil, comme le veut la tradition chrétienne, pour ce qui reste de la dignité politique au Liban.
Le président du Parlement, Nabih Berri, en poste depuis 1992, a ouvert la session. Certains députés se sont lamentés de la violation de la Constitution avec la candidature du général en exercice, Joseph Aoun, à la présidence.
Une situation sans précédent depuis 1958, année où le général Fouad Chéhab fut élu, alors que la Constitution le permettait encore.
Le processus de vote a renforcé le sentiment de désillusion. Les deux premiers tours ont été marqués par l’omniprésence d’acteurs internationaux, notamment les membres du comité qui avait négocié le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah.
Amos Hochstein, représentant américain, avait d’ailleurs déclaré trois jours avant l’élection que des efforts considérables avaient été faits pour garantir l’élection de Joseph Aoun.
Le recours au général Aoun reflète moins un respect pour l’institution militaire qu’un aveu d’échec des politiciens à bâtir des ponts de dialogue et de confiance.
C’est un signal de faillite d’un système incapable de produire des leaders capables de sauver le pays.
Le discours inaugural de Joseph Aoun, promettant la lutte contre la corruption, le monopole des armes par les services de l’État et la promotion de la compétence au détriment du sectarisme, a suscité des rêves d’un retour à l’âge d’or du Liban.
On se prend à espérer retrouver ce Liban d’avant la guerre civile de 1975, surnommé alors « Paris de l’Orient », centre de culture, d’éducation et de liberté de la presse.
Mais ce rêve se heurte à la réalité. L’accord de Taëf de 1989, qui a mis fin à la guerre civile, a aussi transformé le Liban en une démocratie parlementaire multiconfessionnelle .
Les postes clés sont distribués selon un équilibre fragile : le président est chrétien, le Premier ministre sunnite, et le président du Parlement chiite. Même le commandant de l’armée est choisi par consensus.
Cet équilibre, qualifié de « savant » par certains comme Marwan Charbel, ancien ministre de l’Intérieur, est devenu un obstacle au développement du pays.
Le général Joseph Aoun, quatorzième président de la République, devra naviguer au milieu d’un champ de mines politiques et sociales prêtes à exploser.
Mais le recours à l’armée ne doit pas devenir une règle. Elle illustre l’incapacité des politiciens à résoudre les crises par des moyens démocratiques.
C’est une défaite pour la classe politique, un constat que l’histoire retiendra.
Cette élection pourrait-elle marquer un tournant ? Le Liban est-il prêt à repenser son système politique et à dépasser les limites de l’accord de Taëf, devenu obsolète face à une jeunesse et un environnement en mutation ?
Pour conclure, une anecdote : dans les années 1990, lors d’une visite au Parlement au centre de Beyrouth avec une délégation de la société civile on a tous serré la main de Nabih Berri, musulman chiite ،alors président de l’Assemblée.
Plus tard, un jeune Libanais d’une autre confession nous a interpellé avec colère : « Félicitations pour avoir salué un homme aux mains couvertes de sang libanais. »
Une décennie plus tard, à Beyrouth pour une mission officielle, j’ai eu l’occasion de saluer Fouad Siniora, musulman sunnite ,alors Premier ministre.
Cette fois, j’ai gardé l’événement pour moi, ayant appris à naviguer dans les eaux troubles des sensibilités libanaises.
Le Liban, ce pays des contrastes, attend encore un véritable sursaut politique, loin des calculs sectaires et des compromissions.
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