L’hommage du FIFM à Faouzi Bensaïdi: Promesse tenue
- Mohammed Bakrim//
Chez Bensaidi, le plan est à la fois dramatique, plastique et sémiotique. Il est à la fois visible et lisible
Il est l’une des figures de proue de la nouvelle vague qui, au début des années 2000, illumina les écrans du pays d’images pleines de promesses et d’espoir.
Aujourd’hui, avec l’hommage du FIFM, la consécration internationale de son nouveau film, on peut dire pour Faouzi Bensaidi : promesse tenue.
Cet enfant de la cinéphilie Meknassie, ville à laquelle il ne cesse de rendre hommage dans ses films, était pourtant destiné à une carrière de théâtre. Brillant lauréat de l’ISADAC où il avait suivi une formation d’acteur, son amour pour le septième art en a décidé autrement.
Il a fait alors le choix –heureux- du cinéma : réalisateur, scénariste…et acteur.
Passer derrière la caméra tout on ne se privant pas de jouer « devant », aussi bien dans ses films, dans de vrais rôles et non de simples apparitions, ou dans les films des autres.
On le retrouve, en effet chez André Téchiné (Loin, 2001) avec qui il a coécrit le scénario ; chez Jacques Audiard (Monsieur Habib dans Dheepan palme d’or à Cannes 2015) en passant par Nabil Ayouch (Mektoub, 1998) et Daoud Aoulad Syad (Cheval de vent, 2001).
Ou encore dans Sofia (2019) de Meryem Benbarek. Et on vient de le retrouver avec le beau film de Adil El Fadili, Mon père n’est pas mort (2023) dans un rôle énigmatique dans le contexte du Maroc des années de plomb.
Sa filmographique est relativement courte ; elle compte à ce jour (2023) trois courts métrages et six longs métrages.
Il a réalisé également un documentaire pour la télévision où il rend hommage dans une démarche très cinématographique, à la salle de cinéma.
C’est un cinéaste qui n’est pas du tout pressé, il prend son temps notamment dans la phase de post-production où il s’attache à apporter un soin particulier, entre autres, à la bande son : la musique bien sûr, mais aussi tous ces bruits de la vie qui offrent un riche hors champ sonore (voir la belle ouverture de Mille mois).
C’est une filmographie courte qui comporte néanmoins des titres phares de la filmographie marocaine. Son court métrage La falaise (1998) est l’un des films marocains les plus primés à travers le monde.
Son premier long métrage, Mille mois (2003) a obtenu le Prix jeune regard de la section Un certain regard du festival de Cannes.
Volubilis a été consacré meilleur film marocain au Festival national du film à Tanger et un grand succès critique.
Faouzi Bensaidi est un enfant du verbe et de l’image. Grand cinéphile, c’est aussi quelqu’un d’imprégné de littérature, et reste fidèle à ses premières amours, le théâtre.
C’est un adepte de Shakespeare, de Tchékhov et de Brecht. Il a adapté des pièces de Shakespeare en parler marocain et il a transposé au cinéma une pièce de Tchékhov, Jours d’été, dans un film-balade.
Le théâtre pour Faouzi Bensaidi demeure une source d’inspiration pour la formation de l’acteur, l’animation de la scène (théâtre dans le théâtre chez Tchékhov /cinéma dans le cinéma chez Bensaïdi) et une voie insolite pour l’exploration de l’âme humaine.
J’avais eu le plaisir de découvrir, vers le milieu des années 1990) lors d’une édition du Fituc (festival de théâtre à Casablanca, une pièce de théâtre (si ma mémoire est bonne L’ombre du gardien De Saad Allah Ouannouss) dont il avait assuré la mise en scène.
Une mise en scène très cinématographique, déjà ; avec notamment avec un passage d’un acte à un autre s’inspirant du procédé cinématographique de fondu enchainé !
Mais c’est toujours le cinéma qui reste la finalité. Et Faouzi Bensaidi est surtout un visuel.
Il y a chez lui du Tati (le burlesque traverse l’ensemble de son œuvre), du Won Kar-Wai, l’un de ses cinéastes préférés, du John Ford avec une approche quasi-épique de l’espace.
Les thèmes s’inspirent du quotidien des petites gens. Les choix de mise en scène leur offrent une transcendance en magnifiant ce quotidien avec un usage approprié et pertinent de la composition du plan (voir le jeu de couleurs vives versus couleurs étouffantes dans Volubilis).
Le recours au plan large/plan séquence avec une dynamique interne qui accompagne et valorise les détails, les signes dans leurs variétés (Mille mois ; Mort à vendre).
Chez Bensaidi, le plan est à la fois dramatique, plastique et sémiotique. Il est à la fois visible et lisible ce qui offre à ses films une accessibilité continue, jamais fermée. Revoir un de ses films renouvelle le regard qu’on porte sur ce film.
Revisitant différents genres cinématographiques, ses films sont une carte où la seule boussole pour s’orienter est le cinéma!
Du mélodrame social (Volubilis, 2018) au western postmoderne (Déserts, 2023) en passant par le réalisme social (Mille mois, 2003), le film noir (Mort à vendre, 2012), son travail s’inscrit dans une logique de singularité.
Chaque film inaugure un pan aux multiples références. Loin de tout éclectisme, chaque film, qui est en fait une proposition cinématographique, est une voie/voix nouvelle de création, d’interrogations et «d’expérimentation», précise-t-il lui-même ; avec au bout le plaisir cinéphile.
Une singularité qui ne vise pas à faire prévaloir un ego car c’est une singularité généreuse, non exclusive portée par une empathie envers les genres, les personnages : il n’y a pas de vrais méchants dans ses films.
Ses personnages ne sont pas des archétypes mais des destins qui se croisent devant un regard qui témoigne, loin des clichés exotiques ou misérabilistes.
Filmer le quotidien dans sa dimension tragique ; capter l’intensité de la vie avec des héros ordinaires. Faouzi Bensaïdi privilégie les personnages à l’histoire ; et comme il aime et sait filmer les acteurs cela donne une belle synthèse qui transcende le drame au bénéfice de l’émotion.
C’est un cinéma où il ne s’agit pas de capter le visible (c’est le rôle de la télévision) mais de saisir ce qui échappe au flux, la condition humaine dans ce qu’elle a de tragique. Et de prometteur.
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