Société

Les milices de TikTok

  • Abderrafie Hamdi//

Aux passages frontaliers de Tarajal à Castillejos et de Barrio Chino à Nador, les tentatives de franchir l’autre rive de la Méditerranée ne cessent jamais, que ce soit de manière individuelle, ou forcée en groupe .Un véritable jeu du chat et de la souris se joue en continu avec les forces de l’ordre, rappelant les aventures de Tom et Jerry. Rien qu’en août de cette année, 14 648 candidats à l’immigration n’ont pas réussi à traverser, tandis que, durant les huit premiers mois de l’année, plus de 45 000 personnes ont été empêchées de franchir la frontière de manière irrégulière.

Dans l’océan Atlantique, un passage bien plus dangereux menant aux îles Canaries, 2 230 personnes ont réussi à accoster depuis les côtes du nord-ouest de l’Afrique jusqu’au 15 août. De plus, 177 réseaux spécialisés dans le trafic de migrants ont été démantelés.

Ces chiffres sont essentiels pour que nous soyons tous informés de la même manière. Il est donc facile d’imaginer le quotidien à Fnideq et Barrio Chino, où les habitants sont témoins d’un va-et-vient incessant, de jour comme de nuit. Nous ne parlons pas ici de zones de loisirs comme Hay Riad à Rabat, Aïn Diab à Casablanca ou le parc Lalla Amina à Ouezzane, mais d’une zone géographique qui peut être comparée à la traversée des migrants entre le Mexique et les États-Unis.

C’est dans ce contexte qu’il faut analyser ce qui s’est passé dans la nuit du 15 août, lorsque des centaines de personnes se sont rassemblées à Fnideq, en réponse à des appels diffusés sur TikTok.

À mon avis, l’importance ne réside pas dans le nombre de participants, bien que cela soit significatif.

Il est également peu pertinent pour nous, en tant qu’observateurs, de déterminer quelles entités étrangères ont orchestré ou exploité cet événement, car la région est déjà le théâtre de confrontations quotidiennes entre les autorités marocaines et divers acteurs et opérateurs ,individus, réseaux, voire États, qu’ils soient visibles ou cachés, ayant des intérêts convergents avec ceux des trafiquants de drogue, d’armes et de terrorisme.

Il suffit de rappeler que l’ONUDC confirme chaque année que les revenus du trafic d’êtres humains arrivent en troisième position après ceux du commerce des armes et des drogues.

Les questions brûlantes auxquelles il faut répondre sont : pourquoi ces personnes se sont-elles rassemblées en masse à Fnideq ? Qui sont-elles ? Quel est leur âge ? D’où viennent-elles ?
Toutes les données officielles montrent que la jeunesse marocaine est confrontée à un horizon bouché, avec un taux de chômage de 13 % et plus d’un million et demi de jeunes âgés de 15 à 24 ans qui errent dans les rues, ni scolarisés, ni en formation, ni employés (NEET). certainement ce n’est pas une situation nouvelle. Mais est-ce suffisant pour pousser à une telle aventure?

Le nombre alarmant d’enfants parmi les participants, parfois issus de la même famille, est préoccupant, d’autant que certains sont encouragés par leurs parents. Est-ce simplement l’espoir de profiter du statut légal des mineurs dans l’autre pays ? C’est un argument insuffisant.

Comment ces jeunes peuvent-ils croire à un appel à une migration de masse, organisée sous les yeux des autorités publiques, comme s’il s’agissait d’une simple promenade ? Comme si les forces de l’ordre des deux pays allaient simplement observer ?
Je pense qu’il y a deux observations à souligner.

Premièrement, malgré la mise en œuvre de projets et programmes qu’il est impossible de nier ou de minimiser, bien qu’ils soient insuffisants, ces efforts se déroulent et se réalisent sans la participation des jeunes, adolescents et enfants.

Ce n’est pas une omission technique, bien sûr, mais plutôt une vision défendue par certains. Pourtant, depuis des décennies, même les institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le FMI ont révisé leurs stratégies pour se conformer à ce que la communauté internationale a accepté : il n’y a pas de développement sans une participation active, consciente et éclairée des principaux intéressés.

Malheureusement, dans notre pays, il y a un fossé entre les acteurs publics et la société.

Cela ne peut pas fonctionner quand le citoyen et l’acteur public, avec ses réalisations, se trouvent aux antipodes, comme deux lignes parallèles qui ne se rencontrent jamais.

Deuxièmement, qu’une simple annonce sur TikTok ait eu un tel impact prouve, pour moi, que notre système éducatif, familial et social manque cruellement de sens critique. Cela découle bien sûr de décennies d’un enseignement basé sur le bourrage de crâne, la mémorisation et la récitation, plutôt que sur la réflexion, le questionnement, l’argumentation, l’analyse et la reconstruction.

Malheureusement, nous vivons tous cette réalité au quotidien, surtout avec la montée des réseaux sociaux, où l’audience devient facilement manipulable.

L’ancienne responsable onusienne Rima Khalaf a eu une phrase merveilleuse lorsqu’elle a déclaré un jour que les réseaux sociaux dans le monde arabe avaient créé une opinion publique et l’avaient transformée en action publique.

Quant au journaliste libanais Tony Khalife, il affirme souvent : « Si les médias publics sont des armées régulières, les réseaux sociaux sont des milices. » Il est donc impossible de les contenir en les interdisant ou en bloquant leurs utilisateurs.

La solution réside plutôt dans le renforcement de l’esprit critique chez les usagers.

Voilà le long chemin qui attend Chakib Benmoussa, un homme sans doute rationnel, si c’était seulement une question d’hommes et de femmes.
Ssi Benmoussa sait pertinemment que l’objectif de l’éducation dans les pays développés se résume à deux choses : apprendre aux enfants à lire et à écrire, et les amener à utiliser leur esprit pour résoudre les problèmes qui se présentent à eux.

Abderrafie Hamdi

          

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