Les Frères de Had Soualem
- Abderrafie Hamdi//
Dans cette chronique, je ne vous parlerai ni de l’écrivain tunisien Ali Douagi, auteur du récit Les Frères, ni du roman The Brothers de Jonathan Lincoln Daniels, qui explore les conflits entre frères sous la pression sociale et politique.
Je ne vous parlerai pas non plus de Les Frères Karamazov, l’un des chefs-d’œuvre de la littérature russe signé Fiodor Dostoïevski, qui aborde des questions philosophiques et morales profondes : le bien et le mal, la foi et l’athéisme, la liberté et la responsabilité.
Dans ce roman, le conflit oppose un père immoral à ses trois fils, jusqu’à ce que le plus jeune, Smerdiakov, l’assassine sous l’influence de son frère Ivan, convaincu que « si Dieu n’existe pas, tout est permis ».
Mais ce qui nous interpelle aujourd’hui, c’est une autre histoire de frères, bien réelle cette fois-ci, qui s’est déroulée à l’aube du dimanche à Had Soualem, une petite localité où les habitants, comme chaque fin de semaine, se rendaient au marché dominical.
Là où l’on déguste traditionnellement un verre de thé accompagné de chfenj et d’œufs de ferme, tandis que les haut-parleurs saturent l’espace sonore entre les vendeurs de produits miracles – l’un prétendant éliminer les rats et les puces, un autre promettant de guérir le rhume et les douleurs abdominales – et les chansons populaires qui rythment la matinée.
Mais ce dimanche matin, un autre bruit s’est imposé : celui d’hélicoptère de la gendarmerie royale survolant la ville. Au sol, les forces de sécurité menaient une opération préventive, déjouant une attaque terroriste en préparation.
Deux éléments ont particulièrement surpris la population, médusée devant l’ampleur du dispositif : d’une part, la puissance et la sophistication de l’intervention, qui témoignaient de la gravité de la menace, et d’autre part, l’identité des suspects arrêtés – parmi les quatre jeunes interpellés, trois étaient frères.
« Ton frère, ton frère ! Celui qui n’a pas de frère est comme un guerrier partant au combat sans arme », disait le poète irakien Maskeen al-Darimi. Mais ici, l’alliance fraternelle a pris une tournure tragique, soulevant une vague d’interrogations.
Tandis que les experts et les analystes se multipliaient sur les plateaux télévisés et dans les médias, les habitants de Had Soualem, eux, observaient, abasourdis, les images de leur ville circuler sur les écrans du monde entier.
« Est-ce donc notre destin à Had Soualem ? » se demandaient-ils. D’autant que les Marocains, de Tanger à Lagouira, n’ont pas oublié ce que l’on a surnommé « le scandale des 17 milliards », du nom de la somme qui aurait été découverte dans la résidence d’un responsable communal de la ville, aujourd’hui en détention après une condamnation judiciaire.
Depuis, Had Soualem est associée dans l’imaginaire collectif à ce scandale, une réputation entretenue par les moteurs de recherche qui la désignent comme « la commune des 17 milliards).
L’implication de plusieurs membres d’une même famille dans des cellules terroristes ou des organisations criminelles n’est pas un phénomène nouveau, ni au Maroc ni ailleurs.
Le recours aux liens familiaux est une stratégie classique du terrorisme : d’une part, ils garantissent un haut niveau de confiance entre les membres du groupe, d’autre part, il est plus facile d’influencer et d’endoctriner ses proches lorsqu’on est déjà radicalisé. Enfin, la loyauté envers la famille rend ces cellules plus difficiles à infiltrer par les services de renseignement.
Au Maroc, plusieurs exemples illustrent cette dynamique. On se souvient encore de la cellule démantelée en 2020, active entre Témara, Tiflet et Tanger, ou encore du cas des sœurs jumelles Sanae et Iman, âgées de seulement 13 ans, que des extrémistes avaient recrutées pour commettre un attentat-suicide contre le Parlement.
En Europe, le même schéma s’est répété. En 2015, les frères Kouachi, Saïd et Chérif, ont perpétré l’attentat contre Charlie Hebdo à Paris. En Belgique, Salah et Brahim Abdeslam ont marqué les attentats du 13 novembre, l’un ayant été arrêté, l’autre s’étant fait exploser. En 2016, à Bruxelles, les frères Khalid et Ibrahim El Bakraoui ont semé la terreur en se faisant exploser, l’un à l’aéroport, l’autre dans le métro.
Cette utilisation des liens familiaux se retrouve aussi dans le crime organisé. Les mafias italiennes ont toujours fonctionné sur ce modèle, comme la célèbre famille Corleone, source d’inspiration du film Le Parrain.
De même, les cartels mexicains, à l’image du clan de Joaquín « El Chapo » Guzmán, ont souvent impliqué plusieurs générations d’une même lignée dans le trafic de drogue et les assassinats.
Mais ce qui inquiète le plus dans le cas de Had Soualem, c’est l’équation complexe qu’il met en lumière : des jeunes, issus d’une même famille, plongés dans une situation sociale précaire, trouvant dans l’idéologie extrémiste une réponse à leur mal-être.
Si les forces de sécurité ont rempli leur mission en neutralisant la menace, la question qui demeure est la suivante : où sont les autres acteurs censés jouer leur rôle?
Les Pourquoi faut-il toujours attendre que la sécurité intervienne pour réaliser l’ampleur du problème ?
L’ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, l’avait bien résumé : « La pauvreté, l’ignorance et l’exclusion sont le terreau du radicalisme.
Si nous voulons éradiquer l’extrémisme, nous devons nous attaquer à ses causes, et non seulement à ses manifestations. »
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