Les filles d’Olfa, La mère de tous les mensonges..Documentaire? Fiction déguisée?
- Mohammed Bakrim //
« En matière de fiction, le scénario fait le récit ; en matière de documentaire, le vécu fait le scénario»
Wiseman
Deux films viennent de remettre au-devant de la scène le documentaire maghrébin.
Leur réception hyper médiatisée a généré un discours plein d’emphase parlant de « l’émergence d’une nouvelle dynamique du documentaire dans notre région ».
Ou encore « le nouveau documentaire maghrébin est arrivé ». Deux films signés par deux jeunes cinéastes : La mère de tous les mensonges de la marocaine Asmae El Moudir et Les filles d’Olfa de la tunisienne Kaouther Ben Hania.
Le hasard (?) a fait que les films des deux femmes ont été en lice pour la shortlist des Oscars.
Beaucoup de bruit également autour de ce rendez-vous qui a finalement tourné au bénéfice de Kaouther Ben Hania qui bénéficie de plus d’ancienneté et plus de soutien qu’Al Moudir dans les arcanes de cette nébuleuse qu’est le système mondialisé de la production et de la promotion du cinéma.
Mais on peut dire déjà qu’avec son nouveau film Asmae El Moudir comme sa collègue tunisienne est désormais entre de bonnes mains. « Hors des réseaux tu mœurs ! ».
C’est le paradigme qui sévit en la matière. Les deux cinéastes, à l’instar d’autres noms du Liban ou de l’Afrique sub-saharienne, sont assurées de véritables rampe de lancement et sont pris en charge par des réseaux.
Une sorte d’autoroute qui va de l’écriture à la réalisation avec des bornes qui balisent le chemin du film. La conséquence étant qu’on retrouve l’horizon esthétique de ces films comme surdéterminé par une forme de pensée unique.
A ce propos, on est frappé par la similitude de la grammaire visuelle qui caractérise La mère de tous les mensonges et Les filles d’Olfa.
On sait qu’avant leur course à l’inscription aux Oscars, les deux films avaient été déjà consacrés à Cannes. Ils ont décroché le Prix de l’œil d’or attribué au meilleur documentaire projeté dans les différentes sections de la Croisette.
La mère de tous les mensonges ayant décroché en outre le prix de la mise dans la section Un certain regard et L’Etoile d’or du FIFM entrant dans les annales du festival de la ville ocre comme le premier film marocain à avoir décroché la consécration suprême
La lecture de L’argumentaire du jury cannois est édifiante. Il est porteur de toute une philosophie pour le documentaire et donne des indications pour comprendre la nouvelle démarche qui oriente le rapport du nord au cinéma du sud.
Il trace déjà un horizon de lecture en parlant du documentaire comme « laboratoire des formes les libres du cinéma ».
Les deux films maghrébins en sont une illustration éloquente. Les deux films sont inscrits dans la logique de la conception française du documentaire incarnée par la notion de « documentaire de création » où l’auteur et le traitement qu’il propose importent plus que le sujet en soi.
Depuis la fin des années 1980, dans le paysage audiovisuel français, l’intitulé « documentaire de création » désigne des œuvres « qui se réfèrent au réel, le transforment par le regard original de son auteur et témoignent d’un esprit d’innovation dans sa conception, sa réalisation et son écriture ».
Le jury de Cannes cautionne cette filiation et « salue le courage et l’imagination de Kaouther Ben Hania et Asmae El Moudir, qui inventent des dispositifs renouvelant avec audace les écritures du réel pour explorer et affronter le chaos du monde.
Elles confirment avec force et détermination que le documentaire est un genre majeur du cinéma ». Le mot à souligner ici en rouge est « dispositif. Les deux films peuvent se réclamer en effet d’un genre, « le documentaire dispositif »
Pour se démarquer soi-disant du reportage qui passe pour le degré zéro du documentaire, les deux films ont poussé le bouchon de la création trop loin. Le résultat in fine, on a sacrifié le documentaire au bénéfice du dispositif.
Dispositif empruntant largement aux codes de la fiction cinématographique. Dans les deux cas de figure, la mise en scène étant prépondérante.
Les acteurs (au sens sociologique) issus du monde réel (une mère et ses filles dans le film de Kaouther Ben Hania ; la famille d’Asmae El Moudir, ses voisins) sont réintroduits dans un schéma prédéterminé par l’écriture et la réécriture (les deux jeunes cinéastes sont des enfants de la mode en voque des ateliers d’écriture ou de développement).
La trouvaille consiste à rejouer le réel à travers le dispositif de méta-cinéma. Cela va chez Ben Hania jusqu’à ramener une star de du cinéma et de la télévision (Hind Sabry) pour jouer l’alter ego de la mère voire de diriger le jeu des jeunes filles.
Chez El Moudir la mise en scène consiste à mettre en place tout un jeu de figurines en miniature du quartier adossé à une véritable direction d’acteurs dans un espace théâtralisé.
Je rappelle que dispositif consiste à mettre en relation une personne filmant avec des personnes filmées, par le truchement d’un environnement global, ordonnancé en fonction de contraintes variées qui vont de l’économique (le financement) à esthétique (les ateliers d’écriture).
Précisons dans ce sens , que le dispositif qu’il émane de l’auteur lui-même, ou qu’il soit induit par le contexte de production, celui-ci est, dans la grande majorité des cas, imposé aux personnes filmées.
C’est le cas dans nos deux films. On n’est plus dans le documentaire comme éthique. Certes, il s’agit bien de comprendre le documentaire comme réécriture cinématographique du monde à partir d’un point de vue, d’un regard.
Mais il s’agit surtout de l’interroger dans une perspective historiciste, faite de distance, de doute ; doute y compris dans les choix de la forme d’expression. Or les deux films sont trop bien écrits, trop bien maitrisés.
Un bel objet visuel transformant un drame historique (ici, la disparition de deux jeunes filles ayant rejoint Daech ; là les années de plomb vues à un nveau familial) en un spectacle.
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