
Le Salon international du livre au Maroc(SIEL) : Un succès qui mérite débat
- Abderrafie Hamdi //
Le rideau est tombé sur la dernière édition du Salon international de l’édition et du livre, organisée pour la quatrième année consécutive dans la capitale Rabat, du 17 au 27 avril.
L’événement a connu une affluence remarquable et une organisation soignée, tant sur le plan logistique que sur celui de la programmation.
Mais aussi positifs que soient les chiffres et les impressions générales, ils ne doivent pas nous empêcher d’ouvrir un débat serein et responsable sur les moyens d’améliorer cette grande manifestation culturelle nationale, en veillant à mieux équilibrer ses dimensions institutionnelle et culturelle, au service du lecteur d’abord, et en faveur de la visibilité du livre et de l’auteur marocains.
Ce débat intervient à un moment opportun, d’autant plus que l’UNESCO a récemment annoncé le choix de la ville de Rabat comme Capitale mondiale du livre pour l’année 2026 — une reconnaissance qui élève considérablement le niveau d’exigence et de responsabilité.
Ces dernières années, le Salon a connu des changements répétés en termes de lieu et de calendrier : auparavant organisé en février à Casablanca, il a été transféré à Rabat en 2022, déplacé ensuite au mois de juin, avant d’être avancé cette année au mois d’avril. Si ces modifications peuvent refléter une volonté d’adaptation, l’absence d’un calendrier et d’un lieu stables pose question : peut-on instaurer des traditions culturelles fortes sans régularité ni repères, à l’image des grands salons internationaux comme ceux de Francfort, Paris ou encore Le Caire?
Autre singularité : le Salon marocain s’étale sur onze jours, soit plus du double de la durée habituelle des grands salons du livre à travers le monde, qui ne dépassent généralement pas cinq jours.
Cet étirement, malgré les bonnes intentions qu’il traduit, semble nuire à l’intensité de l’événement, dilue sa dynamique, et alourdit la charge logistique et financière pour les exposants comme pour les visiteurs, sans que le gain culturel soit toujours au rendez-vous.
Sur le plan de l’organisation, le Maroc continue de confier au ministère de la Culture la gestion directe de l’événement. Or, dans plusieurs pays, les salons du livre sont organisés par des structures professionnelles autonomes — syndicats d’éditeurs, associations spécialisées — avec un soutien public, mais sans tutelle étatique directe.
Cela permet de renforcer l’indépendance du champ culturel et de redonner aux acteurs du livre une part essentielle dans la conception et l’orientation du salon.
Une autre question mérite d’être soulevée : celle de la forte présence des ministères et organismes publics au sein du Salon. Nombre d’entre eux disposent de stands vastes, bien situés, financés sur fonds publics, et consacrés à la présentation de rapports, de publications institutionnelles et de contenus plus promotionnels que véritablement culturels.
Si la valorisation des productions de l’État est légitime, une telle occupation de l’espace tend à marginaliser les maisons d’édition privées et à restreindre leur capacité à tirer parti du Salon comme vitrine professionnelle et culturelle.
En somme, le Salon international du livre au Maroc est un acquis indiscutable qu’il convient de préserver et de faire prospérer. Mais il nécessite aujourd’hui une réflexion sérieuse sur certains de ses choix organisationnels et structurels.
Un salon du livre doit avant tout être un lieu de rencontre entre le lecteur et le livre, entre l’auteur et son public, entre la culture et ceux qui la font vivre — et non une simple vitrine institutionnelle ou un enjeu de visibilité gouvernementale.
Il est donc temps d’ouvrir un dialogue national ouvert et constructif, impliquant tous les acteurs concernés — ministère, éditeurs, auteurs, professionnels du secteur — afin de repenser ensemble les contours d’un salon du livre plus équilibré, plus vivant, et plus fidèle à sa mission première : promouvoir la lecture, célébrer le livre, et servir la culture.

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