Culture

Le monde après nous de Sam Esmail: Un monde déconnecté ou l’accident global

  • Mohammed Bakrim //

«Le progrès et la catastrophe sont l’avers et le revers d’une même médaille».

HANNAH ARENDT.

Peut-être qu’il faut désormais rédiger mes articles à partir d’un bunker ou d’un abri anti-atomique?

La menace en effet est plus que probable ; elle est inhérente au monde moderne. Quelle sera sa forme ? Comment l’humanité réagirait-elle?

Le film de Sam Esmail, Le monde après nous (USA, 2023, sur Netflix) nous met sur cette piste pleine de suspense sur une fin du monde inédite.

Une fin née éventuellement d’une provocation à l’égard de la nature ou de la technologie qui ordonne désormais notre quotidien, nous facilitant la vie et en même temps nous rendant dépendant et vulnérable.

Sam Esmail est connu pour ses séries télévisées ; il est le créateur de concepts qui marchent. On pense notamment à Mr Robot. Son film en porte les stigmates.

L’idée d’une fin de monde est récurrente dans l’histoire du cinéma. Science-fiction, films catastrophes…ont marqué des dates importantes dans le rapport du cinéma avec l’imaginaire des sociétés contemporaines.

Des films qui viennent dire d’une manière imagée les angoisses et les peurs qui marquent une époque. Peut-être que l’une des originalités du film de Sam Esmail est d’avoir abordé cette fin du monde (il faut cependant rappeler que le film est une adaptation du roman éponyme de Rumaan Alam) à partir d’un angle anodin, celui de la vie de tous les jours et de placer l’intrigue autour de l’apocalypse non pas pour décrire l’événement lui-même et la lutte des survivants mais de capter les moments intenses de doutes et d’interrogation au moment de son déroulement-même.

Ce n’est ni avant, ni après mais pendant. Quand on ajoute à cela qu’on n’a pas affaire à des super héros, à un sauveur ou à une force occulte, on obtient un récit/un film aux apparences simples mais riche de symboles.

Il est traversé  de questions qui hantent le récit et renvoient le spectateur à ses propres limites face aux événements qui surgissent inopinément dans l’environnement contemporain.

C’est l’aventure que nous allons vivre avec Amanda et Clay. Un couple d’Américains newyorkais, classe moyenne supérieure. La femme est dans la publicité, le mari enseignant et écrivain en mal d’inspiration.

Le couple a deux enfants : Archie qui sort de l’adolescence avec un regard gourmand et Rose jeune fille fan de séries télévisées au regard méditatif, toujours dans la posture de regarder au-delà. L’approche est autant sociologique que psychologique.

Dès la séquence d’ouverture on découvre deux caractères différents : c’est la femme (Julia Roberts, la première raison de voir le film !), qui mène la barque.

Le mari (Ethan Hawke) réconciliant et cherchant sans cesse le compromis (il enseigne la communication). La première image où on découvre le couple instaure un rapport de forces au niveau des caractères de chacun : c’est le matin, le mari est encore au lit et l’épouse déjà debout, en pleine action.

C’est elle en effet qui prend l’initiative, mettant tout le monde devant le fait accompli, de prendre un weekend de congé loin de la ville dans une villa ultra moderne dans un coin reculé du Long Island et un environnement paradisiaque pour y passer un séjour paisible. En principe.

Deux   scènes énigmatiques vont laisser planer un doute sur cette harmonie. Au parking du centre commercial, Amanda plaçant ses achats dans le coffre de sa voiture, découvre dans son champ de vision en regardant à sa droite un personnage chargeant une multitude de provisions dans sa camionnette.

On comprendra plus tard que c’est un voisin (interprété par Kevin Bacon) qui est au courant de quelque chose. La scène fonctionnant comme une prolepse en littérature.

L’autre scène qui va marquer le point de bascule se déroule à la plage. Il fait beau, la mer est calme, la famille prend un bain de soleil. Une image idyllique que va briser Rose en attirant l’attention de tout le monde sur un bateau qui pointe à l’horizon.

Image banale ? Oh que non !  Le bateau un immense paquebot fonce sur la plage. Les premiers moments d’étonnement passés, tout le monde commence à fuir pour laisser la place à ce « monstre marin » qui échoue sur la plage.

Filmé en contre-plongée, il a les allures d’une immense baleine. La scène sème le doute dans les esprits des personnages ; filmée lentement comme quelque chose qui arrive du fond de l’image (du passé ?) pour apporter une menace.

Du point de vue de la réception du film, c’est une scène riche en rhétorique interprétative. Il y a d’abord le nom du bateau « white lion », le lion blanc qui convoque une dimension mythologique.

Des légendes sont liées à ce signe plus culturel qu’iconique. Dans certaines cultures (africaines ?), rencontrer un lion blanc est un signe prémonitoire. Un autre niveau de lecture, la présence du paquebot à cet endroit précis, nous renvoie à Titanic : symbole d’une puissance qui échoue par l’aveuglement des hommes.

Une catastrophe pointe à l’horizon. Un accident. C’est aussi peut-être l’autre message de cette scène.

Revenue à la maison, la famille va vivre une série d’événements inouïs. Nous assisterons à un huis clos moderne qui confronte des héros ordinaires (avec leur faiblesse, leur lâcheté ou leur humanité) qui font face à une situation extraordinaire est.

Tout commence un soir, quand les supposés propriétaires de ladite villa, G. H. (excellent Mahershala Ali) et sa fille, reviennent en urgence, affirmant qu’une coupure électrique a paralysé les alentours. Sans téléphone, télévision, ni internet, les locataires plongent dans l’incertitude.

A partir de ce moment, on s’installe dans un monde tant imaginé et redouté celui de la déconnexion généralisée. Ce que Paul Virilio appelle « l’accident global ». Il a en effet souligné que l’une des caractéristiques de notre époque est que pour la première fois les accidents « artificiels » (Tchernobyl, krach boursier…) l’ont emporté sur les accidents « naturels » (tremblement de terre, inondations).

Une de mes scènes préférées est emblématique ; elle est d hallucinantes : des voitures neuves voient leur système de guidage automatique déréglée suite à la panne intégrale, sortent de l’usine foncent sur la route toute seules et provoquent un gigantesque carambolage.

C’est du Paul Virilio : « Pour comprendre les accidents, il faut les étudier, mais aussi les exposer. L’accident est une invention, une œuvre créative. Qui, mieux que les artistes, peut faire sentir la dimension tragique du progrès ? ».

Une autre présence symbolique, celle des cerfs : beaux, silencieux et s’approchent des hommes comme pour leur faire parvenir un message ; c’est l’explication écologique qu’en donne le cinéaste.

Ils sont aussi un signal d’alarme ; ils quittent la forêt…parce qu’il n’y a plus de forêt avec la déréglementation climatique et l’urbanisation sauvage. La scène finale montre justement la destruction de la ville, mère de tous les péchés?

Le film prend alors une dimension freudienne. Il nous invite à réfléchir sur notre rapport à la mort et à sa pulsion. Réfléchir aussi sur notre rapport à la fin, à toutes les fins (voir la fin énigmatique du film quand la jeune Rose cherche à connaître le dernier épisode de sa série préférée).

          

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