Le garçon et le héron de Hayao Miyazaki: Franchir le seuil
- Mohammed Bakrim //
L’animation, cantonnée jusqu’ici dans des supports domestiques de la sphère privée, retrouve le grand écran avec le nouvel opus, Le garçon et le héron du maître japonais du genre Hayao Miyazaki. Le film connaît en effet une distribution commerciale à travers les salles de cinéma. Il faut saluer ici le rôle du Ficam (le festival dédié à l’animation à Meknès) et de son directeur artistique le dynamique Mohamed Beyoud, cinéphile grand artisan de la présence de l’animation dans l’espace public. Le seul fait que ce film en particulier soit distribué au Maroc, en même temps que sa sortie internationale, est une sorte de couronnement d’un parcours qui remonte au moins à 2001.
Le Garçon et le héron est le douzième long métrage de Hayao Miyazaki. Il est né en 1941, date fatidique dans l’histoire du Japon moderne (le pays est en pleine guerre qui débouchera sur la tragédie de Hiroshima). Une date qui traversera comme une blessure symbolique l’œuvre du futur grand cinéaste. Il entame sa carrière en 1963 et marquera définitivement la pratique de l’animation nipponne (enfermée la production sclérosée des célèbres mangas) et internationale.
Il imposa une esthétique née d’un professionnalisme d’une grande rigueur ; contrôlant la création d’une nouvelle œuvre dans ses moindres détails. A ce niveau déjà, celui d’une pratique portée par une philosophie du travail, on peut parler de lui comme le Stanley Kubrick de l’animation. La référence n’est pas fortuite, l’auteur de Shining et de l’Odyssée de l’espace étant à la base de sa cinéphilie aux côtés des cinéastes du néo-réalisme italien et bien sûr de l’incontournable Ozu qu’il découvrit très tôt.
Il y a plusieurs portes d’entrée pour accéder à l’univers artistique et esthétique de Miyazaki. La critique occidentale a mis en avant ces rapports à la nature, n’hésitant pas à parler à son égard d’un « cinéma écologique ». C’est pertinent eu égard à l’omniprésence de la nature dans ses différents récits. Néanmoins, la nature est aussi une composante d’une vision du monde où la matière organique ne se réduit pas à un environnement. C’est un élément essentiel de la dramaturgie mais c’est aussi un faisceau de signes qui disent un rapport au monde.
Le soleil se lève (2013) avait constitué une œuvre somme. Une synthèse qui relève du manifeste esthétique : un ravissement graphique et une cohérence dramatique ; une émotion renouvelée à partir d’une symphonie de couleurs et de formes. Le cinéaste étant un maître d’orchestre de cette débauche de signes iconiques. Au point que le cinéaste lui-même avait annoncé que Le soleil se lève est le point final d’une riche carrière.
Le garçon et le héron, dix ans plus tard vient en contre-point de cette annonce. Peut-être que le cinéaste avait senti qu’il manquait un pan à cet édifice construit patiemment. A un moment du récit de son nouveau film, j’ai relevé une sorte de clin d’œil au Soleil se lève. Lorsque le protagoniste a décidé de franchir le seuil et d’aller dans un autre monde, il fait la rencontre avec un guide, une sorte d’alter ego qui l’oriente dans cet univers sans repères. A un certain moment de leur fuite, le jeune guide lui dit « Dépêche-toi ! Le soleil se lève ».
L’ouverture du film nous situe dans une configuration narrative structurante de l’imaginaire de Miyazaki. Celle d’un héros arraché à un espace originel suite à une perte et appelé à la découverte d’un ailleurs. C’est le cas de Mahito, jeune garçon d’une dizaine d’années que nous découvrons à Tokyo dont le ciel est illuminé par le feu de la guerre (à titre personnel cela m’a ramené aux images du ciel de Gaza que je n’ai cessé de voir scotché à ma télé face à ce génocide en direct : la fiction et le réel se retrouvent).
Une belle séquence nous montre la fuite à travers le feu rappelant l’incendie qui avait emporté sa maman et la décision de partir vers la campagne. Vers un magnifique manoir situé à la lisière d’une forêt chargé d’énigmes. On découvre le système des personnages, le père, sa tante qui sera sa future belle-mère. Mais le personnage clé est un héron cendré vivant dans une tour va le guider dans des univers parallèles pour lui faire retrouver sa mère et rencontrer son grand-oncle qui voit en lui un successeur pour bâtir un monde meilleur.
Comme le laisse entrevoir la combinaison binaire du titre, le film va s’articuler autour d’une dualité ; celle deux mondes. En décidant de franchir le seuil, pourtant interdit, le garçon va à la découverte d’un autre monde ; celui des absents : sa mère, son oncle et sa tante enceinte disparue mystérieusement. Celle-ci va incarner l’objet de la quête constituant la finalité de sa démarche. Mais la métaphore du seuil est plus éloquent : c’est un garçon qui s’apprête à un passage vers un autre âge, celui de l(adolescence, plus tumultueux hanté par la figure du père et par celle de la mère absente.
Si le film nous éblouit par le foisonnement d’images et de sons brossant un symphonie picturale offrant aux yeux une fête de sensations, le récit par contre nous convainc moins notamment dans sa deuxième partie ; celle de l’au-delà. Ce voyage poétique scrutant le mystère des origines s’avérera chaotique, tonitruant presque ennuyeux nous poussant à attendre avec impatience quand Mahito, et du coup le récit, retrouvera la situation initiale de stabilisation. Mais c’est le coût des grands voyages : engendrer le trouble, le déracinement pour être au rendez-vous du sublime.
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