Culture

La malédiction des Italiennes

  • PAR: Abderrafii Hamdi//

Il y a plusieurs années, j’ai regardé le film *La Ciociara* (La Paysanne aux pieds nus) avec pour vedettes Sophia Loren et Jean-Paul Belmondo.

À l’époque, ce film marquait un tournant décisif dans la carrière de Sophia Loren, qui avait seulement 26 ans lorsqu’elle a remporté un Oscar en 1960, devenant apparement la première actrice non anglo-saxonne à obtenir cette prestigieuse récompense. Loren, qui est décédée à l’âge de 89 ans à Naples, est devenue une figure mondiale du cinéma après ce film.

Je n’aurais jamais imaginé que le destin me conduirait, des années plus tard, à visiter les lieux où ont été tournées certaines scènes du film, ainsi que les champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale, notamment à Monte Cassino, au sud de l’Italie.

La malédiction des Italiennes - agadirtoday.com

Cette région, située près de Rome, avait été choisie par les Allemands comme bastion pour défendre Benito Mussolini et la capitale italienne contre les Alliés.
Après l’échec des forces britanniques à percer les lignes allemandes, c’est le général français Alphonse Juin qui an mis en place une stratégie audacieuse d’attaque.

L’armée allemande, qui attendait les Alliés dans la vallée, a été surprise lorsque les troupes franco-marocaines sont descendues des montagnes.

Ces soldats marocains, recrutés par la France, connaissaient bien les terrains montagneux similaires aux régions de l’Atlas, du Rif et du Jebala au Maroc.

Ils étaient principalement venus à l’appel du défunt roi Mohammed V, qui soutenait la cause des Alliés.
Leur bravoure a été saluée publiquement par le général Charles de Gaulle.

Le 18 mai 1944, les forces alliées ont ainsi brisé la ligne défensive de l’Axe, marquant un tournant décisif dans la guerre.

Ces récits de bravoure, racontés avec fierté, suscitent un grand sentiment d’honneur pour nous, Marocains. Nous aimons partager cette épopée avec nos enfants et dans nos écoles.

Cependant, lorsque l’on regarde *La Ciociara* de plus près, on est confronté à des événements tragiques : le viol de Sophia Loren et de sa fille mineure dans le film, inspiré de la réalité historique, nous rappelle les atrocités commises contre des centaines de femmes italiennes, qui ont été victimes de viols et de brutalités, notamment de la part de soldats marocains.

À cette époque, la France, alors puissance coloniale dominante, a imputé ces crimes aux soldats marocains, pauvres et analphabètes, plutôt que de les traiter comme des actes individuels.

Ces événements sont encore commémorés chaque année en Italie le 18 mai sous le nom de *Marocchinate*, littéralement « les Marocains violeurs », avec une association nationale italienne qui rappelle aux jeunes générations ces actes de violence.

Bien que la France ait versé des compensations à environ 1 500 victimes, plusieurs historiens ont rapporté que le général Alphonse Juin avait donné l’ordre à ses soldats avant la bataille en leur promettant « 50 heures de liberté pour faire ce qu’ils veulent » s’ils remportaient la victoire. Et ainsi, pendant ces 50 heures, les survivants de la guerre coloniale française se sont livrés à des pillages et des viols, comme l’a immortalisé le film. Seuls 160 soldats furent jugés, et parmi eux, un seul Marocain.

Lors d’une visite au monastère bénédictin de Monte Cassino, une guide nous a raconté l’histoire des nombreuses destructions qu’a subi ce lieu, notamment lors de la Seconde Guerre mondiale.

Elle nous a décrit comment la victoire des Alliés à Monte Cassino a été ternie par les abus commis contre les civils, en particulier les femmes, déclarant que ce fut une « victoire sans honneur ».

Son ton prudent laissait supposer qu’elle savait qu’un Marocain faisait partie du groupe de visiteurs, car elle a évité d’employer le terme « Marocchinate ».

Aujourd’hui, alors que le Maroc jouit de son indépendance et fier de son histoire, il est temps d’aborder cette question avec maturité et transparence. La commission *Equité et Réconciliation* a ouvert la voie pour faire la lumière sur les pages sombres de notre histoire.

Néanmoins, est-il encore acceptable que le Maroc officiel et universitaire évite ce débat ?

Apres 8 décimés du 18 mai 1944, l’Italie entière se souvient encore de ce triste scandale.

Le moment n’est-il pas venu pour la France de révéler toute la vérité et d’assumer sa responsabilité ? La brutalité des événements a-t-elle été aussi extrême qu’on le dit, ou bien d’autres acteurs, comme l’Allemagne et l’Italie, ont-ils aussi joué un rôle dans cette tragédie ?

Cette histoire tragique, exploitée à des fins politiques par divers partis, notamment les communistes italiens et plus tard l’extrême droite, n’est pas sans conséquence.

On peut se demander si le soutien de certaines municipalités italiennes au Front Polisario n’est pas alimenté par cette propagande, entretenue par certains régimes voisins.

En fin de compte, la France, en tant qu’acteur clé dans ces événements, a une responsabilité. Elle doit réparer l’injustice faite aux Marocains et se réconcilier avec les Italiennes victimes. C’est une bataille que chacun doit mener, à sa manière, pour que la vérité soit enfin connue.

En attendant, ce vendredi 13 septembre, le maire de la ville de Cassino recevait le prix international de la ville de la paix.

Quant à moi, je sirote un bon un thé vert -sans menthe ni sucre, – à la réception offerte à cette occasion.

Abderrafii Hamdi – Cassino le 14-09-2024

          

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