Monde Aujourd’hui

La lutte amazighe:  Fin d’un cycle et début d’un autre

  • Lahoucine Bouyaakoubi //

       L’effervescence remarquable qu’ont connue les célébrations du nouvel an amazighe (Yennayer 2074/2024), quelques mois après la décision royale du 3 mai 2023, décrétant le premier jour de l’an amazighe (14 janvier), jour férié et fête nationale au Maroc, semble marquer un tournant dans l’histoire de la revendication amazighe en Afrique du Nord et dans la diaspora.

Même des lieux, comme la Grande mosquée de Paris, qui étaient jusqu’alors hostiles à l’amazighité, ont ouvert leur porte pour fêter Yennayer.

Ce changement d’attitude, survenu au début du XXIe siècle, pourrait-il être considéré comme signes de la fin d’un cycle et début d’un autre dans la trajectoire d’une lutte amazighe transnationale ?

     Un petit retour à l’histoire s’impose pour mieux comprendre ce changement.

Les Amazighs (Berbères dans les langues occidentales) est l’un des peuples les plus anciens de la méditerranée.

Voisins des Pharaons, avec qui très probablement ils partageaient dans un temps très reculé quelques aspects communs, ils défendaient leur territoire, l’Afrique du Nord, contres les envahisseurs successifs : Vandales, Romains, Arabes, Othomans, Portugais, Français, Espagnoles et Italiens.

La position géographique et attractive de leur terre les pousse à être des résistants de tous les temps.

Parlant une langue à dominance orale qui se présente sous forme de dialectes régionaux (rifain, tamazight, chleuh, kabyle, mozabite, chaoui, chenoui, touareg, zwara, jerbi, siwi,…) et variantes locales, dont les origines lointaines remonteraient à la famille de langues Chamito-sémitique, ils occupaient depuis la nuit du temps un territoire allant de la Méditerranée au Nord jusqu’au grand Sahara touareg au Sud, et de l’Egypte à l’Est, jusqu’à l’Océan Atlantique à l’Ouest, y compris les Iles canaries qui gardent encore des traces de leurs ancêtres les Guanches, d’origines amazighes.

Il s’agit d’un large espace géographique et culturel marqué à la fois par la diversité et par l’unité, attesté par un fond archéologique, historique et anthropologique commun.

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Aujourd’hui, il n’est pas inutile de rappeler que les anciennes langues voisines à l’amazighe comme le latin ou le copte (langue des pharaons) ont disparu malgré leur statut de langue d’Etat, ayant une tradition écrite ancrée, alors que l’amazighe, malgré son caractère oral très marqué, avec peu d’expérience écrite, est encore vivante, même s’elle a toujours vécu à la marge des centres d’intérêts des pouvoirs centraux.

Même si le recul de l’utilisation de cette langue est confirmé par tous les spécialistes, en faveur d’autres langues dominantes, comme l’arabe et le français, néanmoins le nombre de ses locuteurs aujourd’hui pourrait être le plus élevé de tous les temps. 

Le XIXe siècle et la première moitié du XXe s’imposent pour l’amazighe comme l’époque des grands changements qui menaçaient même son existence.

La colonisation française, par sa force militaire, économique et culturelle a détruit les structures traditionnelles des tribus qui ont toujours préservé la langue et ses expressions culturelles, et par conséquent, a provoqué des mutations socioculturelles profondes dans les milieux amazighes.

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Les zones isolées se trouvent ainsi ouvertes devant les influences étrangères, dont les langues et les pratiques du pouvoir central.

Ainsi, l’arabe et le français s’imposent progressivement par la voie institutionnelle, notamment l’école qui dorénavant permettait l’ascension sociale.

Une nouvelle élite voit le jour, et ses intérêts sont liés aux langues du pouvoir, reléguant ainsi la langue amazighe à la marge.

Les discours idéologiques produits dans ce contexte autour de l’arabe et le français transformaient l’amazighe en « identité négative » et le nationalisme arabo-salafiste qui a vu le jour pour mobiliser la résistance politique et armée contre la colonisation, n’a fait qu’accroitre le statut « mineur » et « minoré » de l’amazighe.

Les conséquences du Dahir du 16 mai 1930 (dit berbère) au Maroc et de la « Crise berbère » de 1949 en Algérie en est des moments clés pour la compréhension du « fait berbère », selon la terminologie coloniale.

Paradoxalement, l’ère des indépendances des pays d’Afrique du Nord au milieu du XXe siècle n’était pas meilleure pour l’amazighe.

Exclue des textes constitutionnels, de l’école, des médias, de l’histoire, et poussée à être limitée dans la vie publique à des besoins très restreints, les dialectes amazighes se voient condamnés à la disparition.

A défaut de garantir la transmission, quelques-uns de ces dialectes ne sont plus parlés que par des personnes âgées. 

A l’encontre de cette tendance générale, une poignée de militants (essentiellement des jeunes étudiants universitaires) pose la question de l’avenir de leur langue et culture amazighes, à partir des milieux  des années 1960.

L’association Agraw n Imazighen (Académie berbère) à Paris, les cours du berbère de Mouloud Maameri à Alger et l’Association marocaine de la recherche et d’échange culturel (AMREC) à Rabat étaient des moments fondateurs d’un discours positif sur l’amazighité et de l’élaboration d’une série de revendications qui donneront naissance à un mouvement protestataire, dont quelques événements font date :

Printemps berbère de 1980 et Printemps noir de 2001 en Algérie entre autres, et pour le Maroc, les colloques de l’université d’été d’Agadir depuis 1980, ainsi que la Charte d’Agadir de 1991, l’arrestation des militants de l’association Tilelli en 1994, ou encore le Manifeste pour une  reconnaissance officielle de l’amazighité du Maroc de 2000.

La diaspora n’a pas dérogé à la règle : d’abord via l’entrée académique notamment autour de Paris VIII, EHESS et INALCO, mais aussi par la dynamique associative et citoyenne amazighe/berbère notamment en France, (création d’associations comme Tamazgha, Association culturelle berbère (ACB), la Coordination des Berbères de France (CBF), Tamunt n Imazighen, Azamazighe, Tamaynut-France, Asays, Tiwizi 59,création de Berbère TV, émissions radiophoniques sur les ondes des radios libres, manifestations, communiqués,…), mais aussi en Espagne et aux Pays-Bas où réside une forte population amazighe.

Et depuis, le triangle Rabat-Alger-Paris s’impose jusqu’à aujourd’hui comme le cœur d’une forte mobilisation militante et académique autour de l’amazighité. 

Le XXe siècle était donc un cycle d’une thèse et d’anti-thèse au sujet de l’amazighité.

D’un côté, la thèse de la nécessité de faire disparaitre le berbère, qui semblerait déranger le projet panarabiste des politiciens des Etat-nations naissant, et de l’autre, l’anti-thèse des militants berbéristes qui défendaient le droit du berbère/amazighe d’exister et de se développer dans son territoire historique.

Ces derniers, tout en subissant interdictions, intimidations, ou arrestations,… mobilisaient les sciences sociales et humaines et le discours des droits de l’Homme pour justifier leur thèse.

L’histoire leur a donné raison, et avant même la fin du XXe siècle, ils décrochaient quelques acquis, notamment en Algérie (premier département des études amazighes à Tizi Ouzou en 1990, début de l’enseignement de l’amazighe en 1995-96, et création du Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA en 1995)).

La fin de ce siècle semble aussi marquer la fin d’un cycle dans la longue trajectoire de ce qui est connu dans les textes historiques par « la question berbère ».

Il est important de signaler que la montée de la conscience identitaire amazighe allait conjointement avec la chute du discours panarabiste depuis la défait des Arabes face à Israél en 1967, la guerre du Golf et la défaite de Saddam Hussein en 1991, et enfin les conséquences négatives du « Printemps arabe » de 2011.

Ce dernier a permis également l’apparition de la revendication amazighe sur la scène publique en Tunisie et en Lybie, après des décennies de répression des pouvoirs mis en place depuis l’indépendance des deux pays.

La situation des Touaregs est aussi dramatique entre la volonté de l’ancien colonisateur d’exploiter les richesses minières du Sahara touareg, et les conséquences des frontières coloniales qui ont divisé le territoire historique et naturel des touaregs entre plusieurs Etats-nations.  

L’avènement du XXIe siècle s’affiche comme début d’un nouveau cycle.

Il peut être qualifié de l’ère de la reconnaissance.

Le roi Mohammed VI, fraichement intronisé, crée en 2001 l’Institut royal de la culture amazighe.

De son côté, l’Algérie voit l’arrivée au pouvoir du président Bouteflika et décide en 2002 d’octroyer à la langue amazighe le statut de « langue nationale » dans la Constitution, avant que le Maroc intègre la langue amazighe dans son système scolaire à partir de 2003.

En 2006, l’université marocaine abrite pour la première fois à Agadir une filière et un master en langue et littérature amazighes.

Entre 2009 et 2010 les deux pays, qui contiennent le nombre le plus élevé des Amazighophones, lancent leurs chaines dédiées à cette langue.

Le statut officiel de la langue arrive un peu plus tard dans les constitutions des deux pays, au Maroc en 2011 et en Algérie en 2016.

De même pour la reconnaissance du nouvel an amazighe, en Algérie en 2017 et au Maroc en 2023.

Dans la diaspora, la question se pose différemment selon les pays.

La France qui contient le plus grand nombre d’Amazighs, estimé à 2 000 000, toute origine confondue, connait depuis des décennies une forte dynamique culturelle autour de l’amazighité. Aux cotés des langues régionales non territorialisées où le berbère cherchait à trouver sa place, la création de « La maison de la culture berbère », revendiquée depuis des années par une forte élite franco-amazighe et ses amis, marque ce nouveau cycle qui s’ouvre devant l’amazighité.

C’est ainsi que le début de XXIe siècle offre un cadre juridique protecteur à l’amazighité, et un climat favorable pour décomplexer les gens vis-à-vis de cette langue, en vue de permettre à la langue amazighe de sortir de la liste des langues menacées par la disparition.

Un nouveau cycle commence, dont l’un des objectifs majeurs serait la réussite de la mise en application du statut officiel de la langue amazighe.

Autrement dit réussir son statut de « Langue d’Etat ».  

          

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