
Fonction publique : la rigueur commence à la boutonnière
- ABDERAFIE HAMDI //
« L’habit ne fait pas le moine… mais il le trahit parfois. » — Proverbe européen..
Il n’est malheureusement plus rare — ni surprenant — de se rendre dans un service administratif pour y être accueilli par un agent vêtu comme s’il sortait de sa cuisine, de sa salle de sport, voire de sa chambre.
Et que dire de ces représentants de la nation, députés ou conseillers, apparaissant à la télévision dans des tenues qui défient les codes élémentaires de décence institutionnelle ?
Pire encore, lorsqu’un universitaire, un chercheur ou un expert est invité sur un plateau télé, c’est parfois l’indigence de sa présentation qui saute aux yeux avant même ses idées.

On en vient à se demander : s’il accepte d’apparaître ainsi devant des millions de téléspectateurs, quelle est donc son allure devant ses étudiants dans un amphithéâtre?
Le service public, dans ses multiples expressions — administration, justice, parlement, université — semble avoir progressivement perdu cette conscience que la tenue vestimentaire n’est pas un détail. Elle est langage. Elle est symbole.
Ce relâchement s’étend désormais à des secteurs naguère exemplaires : banques, professions libérales, cabinets d’avocats … Tous subissent la même érosion du sens de la tenue, de la présentation, de la représentation.
Pourtant, dans l’histoire des civilisations — qu’elle soit islamique ou occidentale — l’apparence a toujours eu une fonction sociale et politique. Ibn Khaldoun écrivait dans sa Muqaddima :
«L’habit et l’apparence façonnent chez l’individu un état d’esprit de respect et de retenue, notamment vis-à-vis de l’autorité.»
S’agit-il donc simplement de négligences individuelles, ou bien sommes-nous face à une crise plus profonde de la symbolique institutionnelle?
Trois faits significatifs, parmi d’autres, permettent d’illustrer la gravité de la question :
• Un ancien conseiller parlementaire de la confédération démocratique du travail m’avait confié qu’un jour d’été, après une séance, il avait ôté sa cravate pour déjeuner avec un collègue.
De retour À peine arrivé au bureau , un appel de secrétaire général Mohamed Noubir Amaoui — depuis Casablanca — lui reprochait ce relâchement vestimentaire.
Pour lui, la cravate n’était pas un accessoire, mais un signe de respect envers l’institution parlementaire.
• Abbas El Fassi, dans la salle d’audience de la cour d’appel de Rabat demanda un jour à un avocat stagiaire dans son cabinet de quitter immédiatement la salle, parce que ce dernier portait une tenue inadaptée .
Ce n’était pas une simple remontrance : c’était un rappel solennel à la dignité de la robe et à la gravité du lieu.
• Et moi-même, lors d’un voyage en Tunisie après la chute du régime de Ben Ali, fus sidéré de découvrir, à l’aéroport, des agents de sécurité en sandales, chemises ouvertes, sans cravate.
Moi qui avais connu la rigueur vestimentaire de l’époque de Bourguiba ou de Ben Ali, j’y vis le symptôme d’un effondrement symbolique de l’État jusque dans ses moindres détails.
Bien sûr, chacun est libre de s’habiller comme il l’entend dans sa vie privée. Mais lorsqu’on entre dans la sphère publique, on représente plus que soi-même : on incarne une fonction, une autorité, un cadre de référence.
La solennité des institutions ne repose pas uniquement sur les textes. Elle se construit aussi, et surtout, dans les gestes, les postures, les mots… et les vêtements.
Dans certains pays, cette conscience est encadrée par des règles explicites :
• À Singapour, les agents publics sont évalués régulièrement, y compris sur leur présentation.
• Au Japon, l’uniforme est perçu non comme une contrainte, mais comme une expression du respect collectif pour le travail.
• En France ou en Allemagne, certaines administrations disposent de chartes de comportement incluant le code vestimentaire lors des cérémonies ou des réunions officielles.
Et chez nous ? le flou règne. Les institutions manquent de directives claires. Tout repose sur le « bon goût » personnel… qui vacille dès que la culture du respect s’efface.
Il est temps de rétablir une certaine tenue dans nos institutions. Pas par texte seulement mais par un projet culturel. Redonner au vêtement sa dimension symbolique, non pour juger les personnes, mais pour honorer les lieux qu’elles incarnent.
Quand un citoyen ne distingue plus un fonctionnaire d’un promeneur, un professeur d’un supporter de football, un avocat d’un influenceur TikTok, alors la crise n’est plus morale : elle devient institutionnelle.
Une institution se respecte à travers ceux qui la représentent… ou s’effondre par leurs négligences.

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