FIFM2023: Le cinéma, pour un monde meilleur
- Mohammed Bakrim //
« Quand la réalité est projetée à l’écran, elle scintille et signifie »
Que peut le cinéma face aux bruits du monde ? Le bel horizon qui se dessine en perspective à Marrakech offre une esquisse de réponse.
La ville et son festival de cinéma sont portés par le même credo : espoir et résilience.
La ville vient de sortir avec sérénité et dignité d’une terrible épreuve, septembre dernier.
Et le festival en a vu tant ; n’est-il pas lui né un certain septembre (2001) quand le monde était secoué par un séisme d’une autre nature ?
Il était ainsi écrit que Marrakech et le cinéma allaient se rencontrer. La magie de la lumière naturelle de la ville ocre se conjugue en une parfaite symbiose avec la lumière magique de l’écran.
Un foisonnement de sons et de lumières (la définition même de la célèbre place marrakchie) qui offre au regard et à l’esprit un univers féerique où l’homme se réconcilie avec lui-même. Abordant le monde autrement.
C’est le philosophe américain, Stanley Cavell (1926-2018) qui avait posé la question : Le cinéma nous rend-il meilleurs ? ; il en a fait l’intitulé de son livre publié en 2003 ; livre où il met en pratique sa conception du cinéma et de l’apport de celui-ci à la philosophie.
Aujourd’hui avec le démarrage de la nouvelle édition du festival international du film de Marrakech, dans un contexte très particulier, la question du rapport du cinéma aux bruits du monde s’impose comme une question non pas (seulement) politique mais philosophique.
Notre rapport au cinéma nous renseigne sur notre rapport au monde. D’où le retour à Stanley Cavell qui a fait de cette interrogation le moteur de sa riche réflexion qui a constitué une contribution originale, d’abord à la pensée philosophique, stricto sensu en l’ouvrant sur d’autres champs, et aussi au cinéma dont le statut n’est pas réduit, de son point de vue, à une simple illustration de concepts philosophiques.
Il fut le premier à introduire l’analyse de films dans les études philosophiques. Sur un pied d’égalité, si j’ose dire. Sur cette voie, il avait croisé des cinéastes qui ont nourri sa réflexion.
Il a beaucoup travaillé sur la comédie américaine de l’âge d’or de Hollywood autour du concept qu’il avait forgé « la comédie de remariage ; mais il a également croisé le cinéma d’auteur (Rohmer, Godard…) et surtout l’étudiant qu’il avait dans le département de philosophie, Terrence Malick.
Cavell était admiratif de ses deux premiers films, de la façon dont il rend compte de la manière dont le cinéma peut faire un éloge du monde.
Cinéma et philosophie donc, tous deux ont pour objet notre rapport au monde, au réel. « Le cinéma et la philosophie sont tous deux en position de nous apprendre à percevoir la manière dont nous vivons notre condition ».
Stanley Cavell cherche dans les films des réponses aux questions que pose une philosophie faite avec le cinéma et non sur lui : « comment de la lumière projetée sur un écran peut nous rendre présents des objets, des êtres, des événements absents ? ».
C’est le questionnement qui va animer le hors champ du festival.
Les films que nous allons voir ne vont pas nous éloigner du monde. Ils vont nous aider à mieux le voir ; à mieux l’entendre.
En mettant en scène les rapports multiformes avec autrui, le cinéma nous initie à une morale du rapport au monde à travers ce que Cavell appelle « l’ordinaire ».
Une façon particulière pour le cinéma de nous rendre meilleurs.
C’est un peu aussi le programme de Marrakech en ces temps difficiles. On ne peut pas réduire le festival à sa seule dimension « événementielle » que d’aucuns comprennent comme une manifestation professionnelle.
Non, le festival, à travers ses choix artistiques, les films qu’il propose, offre l’occasion de réfléchir sur le monde. De le recevoir dans sa diversité. Et dans le sens « cavellien », je pourrai dire que c’est aussi un moment philosophique.
Car, le cinéma en tant qu’expression artistique est plus pertinent, plus opportun pour comprendre la douleur citoyenne.
Il est à même de restituer le ressenti et à travers les différents genres (science -fiction, horreur, film catastrophe…) interroger la violence en la surdramatisant ou en dévoilant son absurdité.
Face aux bruits du monde, face au déferlement de violence, face à l’irruption de l’irrationnel dans les différents réseaux et supports, le cinéma peut instaurer non pas des trêves mais un espace symbolique où le spectateur/l’homme dialogue avec lui-même.
Un espace de médiation qui accueille les mémoires collectives, fragmentées, déchirée, blessées. Un scénario qui fait des douleurs actuelles et passées un tremplin pour prévenir celle de demain. Et la douleur aujourd’hui a un nom, Palestine.
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