Culture

FIFM 2023: Les dupes…

  • Mohammed Bakrim //

On célèbre les 90 ans du Prix Albert Londres ; du nom du père du journalisme d’investigation et la figure historique d’une certaine éthique de la pratique journalistique.

Il me semble que l’une de ces citations célèbres conviendrait également au monde de la critique cinématographique.

A méditer donc : « notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie en mettant dans la balance son crédit, son honneur, sa vie ».

Parler des films, écrire sur le cinéma ne se conçoit pas sans une culture de prise de risque. Afficher son avis. Pour ma part, je plaide pour une posture d’humilité face aux films.

Eviter le discours sentencieux, définitif. Un critique n’est pas Zorro. Ni un imam prêchant la bonne image. Afficher mon point de vue, le défendre avec le maximum de « passion et de lucidité ».

Que pourrait-on dire aujourd’hui au moment où le FIFM vogue suivant son cap et retrouvant sa vitesse de croisière et au moment où la compétition officielle boucle sa quatrième journée. Très vite une certaine tendance s’est dégagée traversant en filigrane une bonne partie des films présentés.

Des jeunes sortant de l’adolescence et se confrontant aux désirs du corps et la complexité des relations intimes horizontalement adolescents entre eux ou verticalement les relations avec les parents, les adultes en général.

Le ton a été donné d’emblée avec le film bosniaque, Excursion qui nous plonge dans l’univers intime d’une jeune lycéenne confrontée à ses autres camardes et trouve dans la fabulation une voie vers une certaine reconnaissance sociale.

Le cout sera élevé avec au bout de lourdes tensions. Le cinéaste turc Nehir Tuna avec Dormitory reste dans l’univers scolaire en confrontant deux institutions emblématiques de la Turquie moderne : une institution religieuse qui donne son titre au film où les jeunes sont initiés aux préceptes de l’islam et une école laïque où les jeunes apprennent l’anglais comme voie d’accès à une certaine modernité.

Le jeune Ahmet va être tiraillé entre ces deux mondes sous l’emprise de son père qui rêve de le voir ecclésiastique. Le film construit son originalité par le dispositif esthétique qui l’a choisi pour son film en exprimant cette dichotomie culturelle que vit le héros en usant du noir et blanc dans une bonne partie du récit et de la couleur dans le dernier tiers.

Un passage qui se fait d’une manière fluide sans une signification explicite en rapport avec le temps par exemple (le passé et le présent) ; c’est plus une manière d’exprimer une métamorphose du héros qui commence à y voir plus clair dans ses propres sentiments…même si ses tentatives de révolte demeurent sans issue.

Dans mon classement provisoire que j’effectue au fur et à mesure du déroulement de la compétition officielle, le film turc arrive aujourd’hui en haut du tableau. Il a ainsi détrôné le film de Kamal Lazrak, Les meutes, qui a séduit d’emblée par la galerie des personnages qu’il fait évoluer dans un Casablanca des bas-fonds.

Mais séduire n’est pas convaincre. Le film s’est très vite enfermé dans une logique qu’il a installé d’emblée, celle de faire défiler des gueules qui sont des prototypes.

Kamal Lazrak entre dans le champ en « imagier » ou « imagiste » pour user de concepts de Serge daney.  Une scène en ouverture du film donne le ton : cela se passe dans un quartier populaire, le jeune Issam qui avec son père Hassan va vont former le duo dramatique du récit arrive dans un café salle billard. Un jeune, portant costume et cravate, entre au café et annonce qu’il n’pas été reçu pour in travail dans un centre d’appel parce que « ne parlant pas bien le français ».

Un habitué du coin lui répond qu’il se trompe qu’il ne s’agit pas d’un problème de langue « mais de gueule ; tu n’as pas la gueule pour le poste ».  Toute la suite va démontrer que le film prend cette remarque pour lui-même et en a fait son programme : des gueules, des images.

Des images qui finissent par tourner à vide. Or le cinéma est une affaire d’esthétique et d’éthique. Le cinéma c’est construire du temps et de la durée. Bien filmer la misère, la détresse en les enfermant dans les codes d’un genre n’est pas la garantie d’un grand film. Cela doit s’accompagner d’une éthique. Comme disait l’autre, « le travelling est une affaire de morale ». Affaire à suivre.

Mais à Marrakech, il n’y a pas que la compétition officielle. Des sections parallèles sont le lieu d’un bonheur cinéphilique. C’est le cas de la section, très cinéphile, le 11ème continent, il a permis de voir par exemple Les herbes sèches du cinéaste turc, figure emblématique de la planète cinéphile, Nuri Bilge Ceylan.

Film d’une durée exceptionnelle, plus de trois heures. Le film nous transpose dans les merveilleux paysages d’Anatolie pour un récit de réflexion et de méditations.

C’était un test pour le public et pour le festival. Et ce fut un texte réussi à merveille. La salle était archi-comble, un public attentif dans un silence quasi religieux et un accueil enthousiaste te chaleureux ici et là des petits groupes se formaient spontanément pour prolonger le plaisir dans une effusion de sentiments et d’émotion.

Avec, ce public, le FIFM a réussi son pari : disposer d’un noyau dur pour garantir un avenir ouvert, tolérant.

Un moment de nostalgie cinéphilique chargé de symboles et de référence. Le festival a en effet programmé le film de Tawfiq Salah, Les dupes (1972).

Un choix pertinent à maints égards du fait des événements dramatiques en cours en Palestine qui lui donne une nouvelle actualité ; du fait ensuite de la proposition cinématographique qu’il développe et qui en fait non pas seulement un film militant pour une cause juste mais le lieu d’un point de vue.

Le film est une adaptation du récit Des hommes dans le soleil de l’écrivain et intellectuel palestinien Ghasan Kanafani. Tawfiq Salah a réalisé un film personnel et non une illustration des propos du romancier.

Cinéaste en exil en Syrie après des ennuis avec la bureaucratie du régime nassérien dans son pays, il a bénéficié d’un soutien mitigé mais qui lui a permis de dire sa perception de la Nakba et de la tragédie palestinienne à travers le récit de trois palestiniens de générations différentes.

Ils vivaient en Irak et ils cherchaient à rejoindre le Koweït, EL Doraod de l’époque. Mais pour passer d’un pays arabe à un autre, on ne peut le faire qu’en clandestin.

D’où la séquence finale du film, un climax d’une grande portée tragique. Et que le cinéaste a filmé différemment du texte source. Un final qui nous parle, nous interpelle aujourd’hui que les Palestiniens continuent à frapper sur le mur de l’inconscience du monde.

          

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