FIFM 2023: Documentaire et mémoire oubliée
Mohammed Bakrim
- Mohammed Bakrim //
Les bruits du monde comme ses murmures finissent par tisser des pans entiers du scénario des films du festival. L’horizon est obstrué par les échos des drames quotidiens ou des tragédies historiques. Les cinéastes s’ingénient à le percer par les moyens qui sont les leurs. « Je ne suis pas venu au cinéma parce que Truffaut ou Godard m’ont ébloui, mais à cause de mon histoire » déclare Rithy Panh, le cinéaste cambodgien qui a consacré son œuvre à restituer la mémoire de la tragédie que son peuple a vécue à l’époque des Khmers rouges.
Deux documentaires marocains présentés dans l’actuelle édition du FIFM abordent, chacun suivant une démarche qui lui est spécifique, des chapitres oubliés de la mémoire collective du pays. Il s’agit de Mora Youchkad (Mora arrive) de Khalid Zairi présenté dans le cadre du panorama du cinéma marocain et La mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir, sélectionné pour la compétition officielle. Les deux films se nourrissent du même souci : comment rendre partageables les souvenirs des rescapés des drames de l’histoire. Comment proposer le cinéma pour résister à l’épreuve de l’oubli.
Le film de Zairi est un voyage dans la mémoire de la classe ouvrière marocaine et de son émergence dans le champ social par le fait d’un acte violent, celui de l’immigration. Mora était un agent des grandes sociétés minières qui étaient venu, dans les années 1960 principalement, sillonné les campagnes marocaines, notamment le Souss, pour recruter d’une manière quasi bestiale de la main d’œuvre bon marché. La mère de tous les mensonges pour sa part revisite une partie de la mémoire familiale pour finalement rencontrer la mémoire d’un événement tragique dans l’histoire du pays, les émeutes de juin 1981. Une mémoire tue ici (censure politique), une mémoire oubliée là (amnésie sociale). Mémoires refoulées. Ici et là, le cinéma face au devoir de restituer une perte d’image. Une absence d’image ou « l’image manquante » pour rester dans la conception de Rithy Panh.
Les deux films empruntent des voies diamétralement opposées pour nous emmener dans ces voyages mémoriels. Ils ont ce premier avantage de s’inscrire dans le registre de la création et non du faux reportage. Khalid Zairi opte pour une démarche portée par un regard marqué par le souvenir d’une blessure, à partir de la rupture brutale avec un espace d’origine, lieu d’ancrage familial vers un lieu d’exil. La caméra part de l’ailleurs pour revenir à la source. Le film privilégiant, l’écoute, le silence et une vision poétique.
La démarche d’Asmae El Moudir choisit l’intimité du « je », avec un récit porté par une voix off omniprésente. Pour s’insérer dans cette mémoire proche (celle de ses parents) mais réticente, son film s’inscrit dans le paradigme de l’expérimentation avec recours aux figurines (d’où notre référence à Rithy Panh dans son film L’image manquante), une mise en scène quasi théâtrale de séquences de la mémoire, recours appuyé à la musique…In fine le documentaire n’est plus ici qu’un horizon de lecture possible. Plutôt une fiction documentée. « Il n’y a pas plus faux que le documentaire » disait Jean Renoir.
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