Culture

Festival international du film: Marrakech, la maison et le monde

  • Mohammed Bakrim//

Le festival vogue en plein océan d’images et d’étoiles, atteignant sa vitesse de croisière au rythme des projections qui suscitent des réactions variées. Certaines ont suscité des polémiques surtout du côté de la programmation marocaine mais le public est là faisant sienne cette magnifique manifestation du beau et de l’intelligence.

Voici des fragments d’impressions et de projets de lecture au fur et à mesure des journées du festival.

  • Retour d’abord sur la cérémonie d’ouverture. Pour cette 21ème édition du Festival du film de Marrakech elle fut marquée par deux points: un contenu fort avec notamment une sympathique intervention du président du festival l’italien Luca Guadignino. Un contenu fort dans une forme-mise en scène sobre à l’image du rituel du tapis rouge lui-même très discret cette année ; une humilité dans la prestation peut-être parce que le monde va mal ; il n’est pas à la fête même la pluie qui donnait un charme original au cérémonial continue à bouder nos cieux… Le choix du film d’ouverture va dans le même sens ; The order de Justin Kurzel (2024). Un bon thriller sur la quête d’un agent du FBI pour traquer un groupuscule quasi-terroriste qui défend la suprématie de la race blanche. Le scénario est basé sur des faits réels intervenus dans les années 1980 au nord-ouest des Etats-unis. La mise en scène efficace est traversée de clins d’œil cinéphiliques notamment Heat… mais la référence dominante renvoie à Michael Cimino et son chef d’œuvre Deep hunter (1978) ; clin d’œil explicite pour dire peut-être que le Vietnam n’est pas celui du sud est asiatique et qu’ il y a un  « Vietnam » intérieur avec une menace qui peut émaner du dysfonctionnement du système lui-même. La différence entre les deux films réside dans le fait que Cimino met en avant la dimension sociologique avec un hommage à la classe ouvrière avec les beaux plans sur l’arrière fond industriel et Kurtz met davantage l’accent sur la dimension culturelle (rôle de l’église entre autres)

  • Premier long métrage de la compétition officielle du FIFM: The village next to paradise  de Mo Harawe (Somalie): une esthétique en symbiose avec son espace de référence, une poétique du vide et du silence ;  la menace dans le hors champ (les drones assassins qui sillonnent le ciel) l’Afrique n’a plus de rêve à raconter , des histoires tristes oui; peut-être une chance avec les femmes….et une enfance vierge de tout héritage

  • All we imagine de Payal Kapadia (Inde 2024 ; séance spéciale du FIFM) : un film choral dans l’esprit et dans la lettre ; il y a d’abord la ville Mumbai  ville d’ombre et de lumière qui impose une première version de la dramaturgie  et il y a trois femmes, trois récits et le désir comme moteur du drame :  « Désirer, c’est construire un agencement, construire un ensemble ; le désir c’est du constructivisme », écrit Gilles Deleuze…La jeune cinéaste indienne filme tout cela avec grâce en variant les registres, mobilisant la bande son et l’évolution des couleurs… avec beaucoup de références cinéphiliques.

  • La mer au loin de Said Hamich (Maroc-France, 2024) : une immersion dans l’univers cosmopolite de Marseille et les milieux de la migration maghrébine ; un voyage multiculturel porté par une bande-son riche, variée et éloquente. L’approche, en effet, n’est pas sociologique mais culturel à travers la subjectivation du regard, celui de Noor. Noor/lumière qui tente une reconstruction au-delà des ruines léguées par un monde qui se dit globalisé mais traversé de multiples « tribus ».  Le récit d’une vie racontée en chapitres comme dans un livre ; le livre du destin qui fait croiser des vies au cheminement improbable. Des acteurs magnifiques et un Ayoub Gretaa déjà en pole position pour le prix d’interprétation masculine

  • The wolves always come at night de Gabrielle Brady (Mongolie-Australie ; 2024) : on ne voit pas de loup mais on assite au désastre de leur passage. Tout est dans le hors champ ; comme cette mondialisation qui avance jusqu’au cœur de ce désert de Gobi jadis impénétrable : comme les loups qui déciment le troupeau, la globalisation marchande finit par décimer un mode de vie celui des bergers nomades. Ceux-ci acculés à venir s’installer dans la périphérie urbaine. Toute une dramaturgie est ainsi configurée par cette dichotomie de l’espace ; des vastes étendues des nomades aux bidonvilles de la population ouvrière : de l’horizontalité à la verticalité ; de l’ouverture à la clôture… Une grammaire narrative qui transcende les genres, inscrit comme documentaire, le film prend les allures d’une fiction (la direction d’acteurs notamment) et qui n’hésite pas à flirter avec le fantastique (les apparitions nocturnes de chevaux)

  • Les mille et un jour du Haj Edmond de Simone Bitton (Maroc ; 2024) : ou comment filmer l’absence ? tel est le principal défi pour le portrait documentaire ; un exercice que connait très bien la cinéaste marocaine pour l’avoir pratiqué avec beaucoup de réussite  (voir notamment Benbarka, l’équation marocaine ; 2002). Aujourd’hui, Simone Bitton propose, dans la même veine un documentaire sur une autre figure emblématique du Maroc moderne, un intellectuel engagé, un écrivain romancier, critique d’art, Edmond Amran El Maleh (1917-2010) ; juif antisioniste ; marocain dans l’âme et dans l’esprit…ancien membre du parti communiste, il est resté communiste dans sa vie de tous les jours, juif libre comme le dit le professeur Tozy dans le film ; proche des artistes, des écrivains, des politiques et au-dessus de tout des petites gens, de ce peuple du Maroc profond.  Tout cela le film le restitue dans une démarche qualifiée par l’auteure elle-même de « simple » mais sincère ; nul dispositif tape l’œil mais un regard plein d’empathie accompagné par les témoignages des amis et des compagnons, d’illustres intellectuels et artistes ( Chahid, Berrada, Tozy, Baida, Bourquia…) aux anonymes de la vie quotidienne comme Lakbira (sa cuisinière) qui porte bien son nom, présente à l’affiche et première à l’applaudimètre lors de la projection du film. Un ultime clin d’œil au grand écrivain que le peuple d’Essaouira appelait EL Haj Edmond.
          

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