Économie

Délégation de la perception fiscale au secteur bancaire : un succès conjoncturel, mais à quel prix?

  • Par Rabyâ Mazid //

Le gouvernement marocain a annoncé une performance remarquable dans le cadre de l’opération de régularisation fiscale volontaire, ayant généré des recettes de 127 milliards de dirhams, contribuant à hauteur de 6 milliards de dirhams au Trésor public.

Bien que ces résultats témoignent d’une réussite incontestable, il est essentiel de s’interroger sur la méthode adoptée, notamment l’implication du secteur bancaire dans le recouvrement fiscal.

*Une implication basée sur l’expertise commerciale*

La contribution des établissements bancaires a été déterminante pour atteindre ces résultats. Les ressources humaines du secteur bancaire, formées aux techniques commerciales et habituées à atteindre des objectifs ambitieux, ont traité cette opération sous un prisme purement commercial.

Cependant, cette logique commerciale, appliquée à une mission relevant strictement de la fiscalité, peut engendrer des dérives significatives.

*Les risques et limites de cette stratégie*

Si l’efficacité de cette méthode est indéniable à court terme, elle comporte néanmoins des risques structurels majeurs :

*Une confusion entre logique commerciale et exigence fiscale :*

Les employés des banques, non spécialisés dans la législation fiscale, ont abordé cette régularisation avec des outils commerciaux.

Cela pourrait conduire à des prélèvements indus auprès de contribuables non éligibles (non-éligibilité fiscale), générant ainsi des conflits et des atteintes aux droits des citoyens.

La fiscalité, par nature, repose sur une base légale et technique que seules les administrations fiscales maîtrisent pleinement.

*Un impact négatif sur l’image du secteur bancaire :*

À long terme, associer les banques à des missions fiscales risque de ternir leur réputation auprès des particuliers et des entreprises.

Contrairement aux administrations fiscales, qui sont perçues comme des organes coercitifs, les banques bénéficient d’une relation de confiance avec leurs clients.

Cette alliance contre-nature pourrait fragiliser un secteur stratégique, qui constitue un levier essentiel de l’économie nationale.

*Une stratégie gouvernementale à courte vue :*

En déléguant une mission régalienne telle que la perception fiscale au secteur bancaire, le gouvernement s’expose à des critiques quant à son approche à court terme.

Si cette stratégie a permis de répondre à des besoins de liquidités immédiats, elle pourrait affaiblir durablement la neutralité et l’efficacité des institutions bancaires.

Il est impératif de respecter la spécialisation des institutions. La collecte des impôts et des contributions fiscales doit demeurer une mission exclusive des administrations fiscales, qui disposent des compétences techniques et juridiques nécessaires pour garantir la justice et la transparence.

Par ailleurs, le gouvernement gagnerait à investir dans la modernisation des outils de recouvrement fiscal et à renforcer les capacités des services fiscaux pour éviter d’externaliser ces missions sensibles.

En conclusion, si l’opération de régularisation fiscale volontaire a permis de renflouer temporairement les caisses de l’État, elle ne doit pas se faire au détriment de la stabilité et de la crédibilité du secteur bancaire. Préserver l’intégrité des institutions financières est une priorité stratégique qui ne saurait être compromise par des choix conjoncturels.

          

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