Maroc aujourd'hui

Chronique du Mercredi: Quand les marocains mangent dehors

  • ABDERRAFIE  HAMDI//

Alors que Madame Leila Benali, ministre de la Transition énergétique, présentait à la COP29 en Azerbaïdjan les efforts du Maroc en matière de transition énergétique, notamment l’objectif ambitieux de produire 52 % de ses besoins en électricité à partir de sources renouvelables d’ici 2030, et que Madame Amal Falah, ministre de la Transition numérique, s’enfermait dans son bureau pour revoir la stratégie nationale de transition numérique 2030, livrée clé en main lors de sa nomination, un autre type de transition, bien moins médiatisé, était abordé par le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit.

Dans une réponse à une question écrite au Parlement, le ministre expliquait un phénomène qui, bien qu’ignoré des universités et des laboratoires de sciences sociales, transforme profondément la société marocaine : l’essor fulgurant de la consommation de repas hors domicile. Restaurants, cafés, snacks, pâtisseries, et grillades deviennent les nouvelles tables des Marocains, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, urbains et ruraux.

Face à cette mutation accélérée des habitudes alimentaires, le ministère de l’Intérieur a décidé de réagir, même tardivement, en consacrant 10,4 milliards de dirhams à la création de 130 « bureaux d’hygiène », chargés de la prévention, de la surveillance sanitaire et de la protection des consommateurs. Ces bureaux, placés sous la responsabilité des collectivités locales en vertu du dahir de 1976 abrogée par la loi organique 113-14 (notamment l’article 83), doivent s’adapter à cette révolution culinaire silencieuse.

Une transformation des mentalités
Personnellement, je me demande pourquoi, les Marocains étaient si réticents à l’idée de manger à l’extérieur, d’Acheter un repas tout prêt pour le consommer chez soi ou, pire encore, recevoir des invités dans un restaurant était perçu comme une honte, voire un tabou social. Cette aversion trouve peut-être ses racines dans un célèbre hadith rapporté par Tabarani : « Manger au marché est une bassesse ». Bien que ce hadith soit considéré comme faible par les spécialistes, il a sûrement imprégné des mentalités.

Pourtant, l’histoire montre que dans des villes comme Damas ou Le Caire au Moyen Âge, les cuisines privées étaient rares, et les habitants s’appuyaient sur des cuisines publiques.

Au Maroc, le rejet de la consommation hors domicile était-il réellement lié à la nourriture elle-même, ou bien aux lieux – restaurants, cafés, hôtels – perçus comme des espaces de promiscuité et d’ouverture ? 9Ou encore, était-ce le reflet d’une société majoritairement rurale où les moyens des habitants des villes restaient limités ?

-Des mutations à étudier

Les causes de cette transformation rapide sont nombreuses et bien connues. Cependant, ce qui mérite une analyse approfondie, c’est la vitesse de ce changement et ses dimensions culturelles et symboliques. Nous sommes passés d’un temps où manger au restaurant était honteux ou interdit pour certains à une époque où cela est devenu une nécessité, voire une fierté. Le restaurant est désormais un lieu de socialisation et même de préservation des moments familiaux intimes.

Une étude menée par des chercheurs de l’université Jean-Jaurès à Toulouse sur les habitudes alimentaires des Marocains, aussi bien dans les zones urbaines comme Casablanca que dans les régions rurales du Souss, a tenté de comprendre cette évolution.

Mais le sujet reste largement inexploré, notamment sur la manière dont nous consommons aujourd’hui des plats traditionnels comme le couscous ou la tangia dans les restaurants, tout en intégrant des mets internationaux tels que le bocadillo espagnol, le tacos français, le hot-dog américain ou encore la pizza italienne dans nos cuisines.

-Des enjeux pour demain

Quant aux « bureaux d’hygiène », leur généralisation à l’ensemble des collectivités territoriales s’impose, accompagnée d’une révision de leur cadre juridique et organisationnel. Le rapport 2022 de la Cour des comptes à ce sujet contient des recommandations qui méritent une attention particulière.

En attendant, l’Organisation mondiale du tourisme a récemment publié un guide sur le développement du « tourisme gastronomique », constatant sa croissance rapide à l’échelle mondiale.

En France, selon la journaliste Christelle Métal de France 2, dix milliards de repas ont été consommés hors domicile en une seule année.
Peut-être est-il temps que nous regardions de plus près ce phénomène qui, au-delà de l’assiette, raconte une histoire de transformation sociale et culturelle.

          

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