Ces maisons des jeunes qui ont besoin d’un coup de jeune ! #
Au fond d’une impasse dans un quartier périphérique de Salé, une horde de jeunes rigole bruyamment en regardant des vidéos TikTok.
Pour « tuer le temps », ces jeunes désœuvrés se donnent rendez-vous plusieurs fois par semaine pour s’adonner à leur hobby préféré: papoter, faire le tour des réseaux sociaux et, occasionnellement, draguer les filles qui passent.
Pour tenir leur conciliabule, ils jettent leur dévolu non pas sur un café ou un club, mais sur le perron de la maison des jeunes la plus proche, située dans un endroit « stratégique » loin des regards indiscrets, à deux pas d’une décharge publique.
Adossés au mur défraîchi de l’immeuble fermé depuis belle lurette ou assis à même le sol à son entrée, ces jeunes, absorbés par leurs écrans et leurs batifolages, sont loin de se douter du passé prestigieux de ce bâtiment vieux d’un demi-siècle, qui ne paie pas de mine mais qui a connu son heure de gloire au milieu des années 1980, bien avant qu’ils ne viennent au monde.
Théâtre, lecture, dessin, musique, cinéma… Une petite société s’agitait entre les murs de cette bâtisse et de grands penseurs, artistes et personnalités publiques sont passés par cette petite école de la vie qui s’appelait « Dar Chabab » et qui a mis leurs pieds sur le chemin de la réussite personnelle et professionnelle.
De ce temps béni, il ne reste que de lointains souvenirs et des murs abîmés, vestiges muets d’un âge d’or révolu.
Le triste sort de cette maison des jeunes est partagé par une centaine d’autres qui ont mis la clé sous le paillasson, sur un total de 670 structures disséminées sur le territoire national, selon des données du ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication.
Le reste des établissements encore en activité sont soit dans un état de délabrement avancé, soit très peu fréquentés.
Un déficit de gouvernance
Manque de ressources, négligence des autorités ou désaffection des jeunes, pris en otage par le monde virtuel ? Les causes de cette débâcle sont multiples. Mais il y a un seul mot d’ordre pour y remédier: redonner vie à ces espaces en décrépitude et les rendre aussi attractifs de l’intérieur que de l’extérieur.
C’est dans cette optique qu’un décret régissant les établissements de la jeunesse placés sous la tutelle du ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, a été publié en août dernier au Bulletin officiel. Il s’agit du premier cadre juridique organisant les maisons des jeunes qui ont été créées par un Dahir promulgué en 1958.
Ce texte vise à établir des mécanismes de bonne gouvernance en déterminant avec précision les services destinés aux enfants et aux jeunes dans le cadre de programmes annuels, pour en finir avec l’anarchie et le dilettantisme qui caractérisent souvent la gestion de ces institutions.
Ce décret vient à point nommé pour combler un vide réglementaire, mais il n’est pas suffisant pour redynamiser les maisons des jeunes, d’après Othmane Makhoun, membre de l’ONG Espace associatif et ancien directeur régional au ministère de la jeunesse et des sports. Pour lui, c’est tout le mode de fonctionnement qu’il faut revoir.
« Les maisons des jeunes, en tant que structures de proximité, doivent être au plus près de la catégorie sociale qu’elles ciblent. A l’heure de la régionalisation avancée, il est inconcevable qu’une maison des jeunes située à Taznakhte ou à Guelmim continue d’être gérée depuis Rabat. Il faut changer d’approche », souligne-t-il dans une déclaration à la MAP.
L’acteur associatif suggère, à cet égard, que le ministère passe la main aux collectivités locales et que les maisons des jeunes soient administrées par des fonctionnaires de la commune et financées par les fonds propres de celle-ci et de ses partenaires (société civile, secteur privé…), de façon à être au plus près des besoins des jeunes et pouvoir y apporter les réponses adéquates.
L’animateur: passion ou profession ?
La gouvernance n’est pas le seul talon d’Achille des maisons des jeunes. Beaucoup d’entre elles ont fermé leurs portes et d’autres sont à deux doigts de le faire faute de ressources humaines et matérielles. Des locaux vétustes et sous-équipés, des animateurs et des encadrants qui brillent par leur absence, tout comme le public… On dirait des maisons de retraite, pas des maisons des jeunes !
« Il ne faut pas se tromper de débat », objecte M. Makhoun. « Pour qu’une maison des jeunes fonctionne, on n’a pas besoin d’un budget faramineux, d’une armada d’employés ni de formations de haut niveau. Il suffit de fournir un local propre et bien aéré, raccordé au réseau d’eau potable et d’électricité et équipé d’une connexion Internet, avec des tables et des chaises, et d’embaucher quelques personnes, salariées ou bénévoles, pour assurer l’encadrement des jeunes et l’entretien des lieux et tenir les comptes », explique-t-il.
Saâdeddine Igamane, professeur de sociologie à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines Saïs de Fès, est d’un tout autre avis. Pour lui, l’enjeu réside dans la professionnalisation de ces espaces de socialisation que sont les maisons des jeunes, en les dotant des ressources humaines et logistiques nécessaires.
Pour cela, le sociologue juge nécessaire de confier la gestion à un staff qualifié ayant une formation en management, en comptabilité, en animation culturelle, etc. et disposant des soft skills nécessaires pour interagir avec les attentes des jeunes, les associer à l’élaboration de l’agenda des activités et leur permettre de s’approprier cet espace qui leur est dédié.
La reconnaissance du métier d’animateur socioculturel figure, à juste titre, parmi trois leviers identifiés par le département de la Jeunesse dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt lancé en mai 2021 en partenariat avec les Agences des Nations Unies au Maroc, dans l’objectif de « régénérer l’offre de service des Maisons de jeunes ».
Il s’agit d’ « appuyer le processus de création d’un statut d’animateur socioculturel (identification des compétences pour le profil), la conception et contenu de la formation et le processus de certification et déploiement de la formation (avec un réseau d’acteurs formateurs de la société civile) », lit-on dans le document.
Vers des maisons des jeunes « nouvelle génération »
Loin des vieilles méthodes traditionnelles, ces animateurs sont censés élaborer une offre ludo-éducative diversifiée et intégrant les nouvelles technologies, en mettant à contribution les jeunes qui pourront ainsi exprimer leurs opinions, leurs préférences…
Cette dimension « modernisation » est cruciale pour rendre Dar Chabab attractive pour les jeunes d’aujourd’hui. A l’ère de la 5G et de l’industrie 4.0, demander à un adolescent de quitter sa confortable bulle Hi Tech où sa curiosité et ses désirs d’identification et de reconnaissance sociale sont assouvis, pour aller fréquenter un local exigu ne disposant même pas d’une connexion ADSL, et participer à des activités qui sont loin de ses centres d’intérêt, c’est demander la lune.
Bonne gouvernance et modernisation sont indispensables pour créer des maisons des jeunes nouvelle génération et rééditer la success story des années 1970 et 1980, quand Dar Chabab donnait naissance à des talents du calibre de Nass El Ghiwane, Jil Jilala, Lemchaheb… Pour ne citer qu’eux.
En proie au désœuvrement, à la délinquance et à toutes sortes d’addictions, nos jeunes ont, à vrai dire, plus que jamais besoin de ces précieux espaces d’apprentissage de la vie et de la citoyenneté qui ont fait autrefois le bonheur de leurs parents et grand-parents.
MAP / Meriem Rkiouak
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