Bouyaakoubi: Le master «Dynamiques amazighes et développement territorial» est le premier qui conjugue clairement « l’amazighité » et « développement »..
Interview avec Lahoucine Bouyaakoubi Coordonnateur du master «Dynamiques amazighes et développement territorial» FLASH-Ait Melloul, Ibnou Zohr, Agadir
Depuis 2006, l’université marocaine a ouvert ses portes aux filières et masters en études amazighes. S’elles ne sont pas généralisées sur toutes les universités marocaines, l’université Ibnou Zohr d’Agadir abrite un département de langue et littérature amazighes et deux masters dans le même domaine, dont « Dynamiques amazighes et développement territorial », qu’abrite la Faculté des Langues, des Arts et des Sciences Humaines d’Ait Melloul et coordonné par le professeur Lahoucine Bouyaakoubi.
Agadir today s’est rapproché de lui pour avoir plus de détails sur cette formation.
Question 1 : Pourquoi la création d’un master qui porte sur l’amazighité à la FLASH-Ait Melloul?
La Faculté des Langues, des Arts et des Sciences Humaines (FLASH), Ait Melloul, qui relève de l’Université Ibnou Zohr d’Agadir, est un jeune établissement accrédité en 2019.
Il est en pleine expansion sur tous les plans. Comme son nom l’indique, elle a une offre pédagogique dont les langues occupent une place centrale.
Elle est donc appelée à proposer une formation académique en rapport avec la langue amazighe, devenue « langue officielle » depuis 2011.
L’entourage socio-culturel de cette Faculté impose également cette décision. De même, la loi organique 26/16 relative aux étapes de la mise en œuvre du statut officiel de l’amazighe, adoptée en 2019, appelle à la création des filières et départements de la langue et la littérature amazighes.
Certes, ceci a déjà commencé bien avant 2019 à la FLSH Agadir depuis 2006/2007(filière devenue département et master), suivi des universités de Fès (filières devenue département et deux masters), Oujda (filière devenue département et 2 masters, à Oujda et Nador) et à Ain Chok à Casablanca (département et master).
Et récemment à l’Ecole Supérieure Roi Fahd de traduction à Tanger et aussi au sein de quelques Ecoles nationales de l’Education et de la Formation (Berrchid, Oujda, Agadir).
La FLASH a également signé un partenariat avec l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) pour promouvoir les études amazighes au sein de cette Faculté.
Pour toutes ces raisons, et en attendant la xréation d’une filière amazighe, la création de ce Master répond à un contexte favorable à l’amazighité qu’il soit au niveau politique, juridique et académique, et répond également à un besoin sociétal et administratif.
Question 2 : Quelle est donc la nouveauté de ce Master par rapport aux autres?
Les masters qui existent jusqu’à aujourd’hui (2024) portent plus sur la linguistique amazighe, la littérature, la didactique et dernièrement la traduction.
Ce sont certes des domaines forts intéressants. Notre master «Dynamiques amazighes et développement territorial » est à mon avis le premier qui conjugue clairement l’« amazighité » et « développement ».
Question cruciale qui souvent se pose lors de toute discussion autour des droits linguistiques et culturels amazighes.
Il s’inscrit ainsi dans les orientations générales du Nouveau modèle de développement, présenté en 2021.
Ce dernier appelle à « mettre en place des mesures ciblées aux niveaux régional et local, tel que des musées dédiés au patrimoine immatériel local, la numérisation de tous contenus culturels immatériel, l’organisation d’événement réguliers autour de biens culturels et enfin le renforcement des guides culturels régionaux, labellisés et formés » (L’Observateur, mai 2021).
Aux côtés de son apport au niveau de la formation des cadres capables de contribuer à la mise en œuvre du statut officiel de l’amazighe, ce Master met également au cœur de ses préoccupations la notion de territoire, sous toutes ses facettes.
Si la mise en application du statut officiel de l’amazighe a un aspect national, néanmoins, les exigences locales et régionales nous invitent à prendre en considération les particularités de chaque territoire, qui font parti intégrante de son identité.
Ainsi, ce Master forme également des acteurs culturels capables de mettre la Culture en générale, et amazighe en particulier, au cœur de toute stratégie de développement.
La nouveauté se voit aussi au niveau des modules enseignés. Aux cotés des matières liées à l’amazighité (la langue, la littérature, le cinéma, le théâtre, l’action associative), l’offre pédagogique propose aussi des modules de géographie, de sociologie et d’histoire.
La notion de territoire nous impose des modules comme «Aménagement territoriale» ou «Communication territoriale », «régionalisation et développement», «Géographie culturelle du monde amazighe» et d’une certaine manière «Mémoire et histoire régionales».
Nous y trouvons également « Sociologie de la culture», «Patrimoine et développement», «anthropologie du développement » ou encore «Entreprenariat culturel».
Il s’agit d’une formation multidisciplinaire qui met l’amazighité au cœur d’une vision globale.
Question 3 : Quels sont les débouchés de ce master?
Il faut reconnaitre que l’amazighité devient de plus en plus « un marché de travail».
Depuis la reconnaissance constitutionnelle de cette langue, l’Etat a besoin de milliers de cadres pour que cette langue joue pleinement son rôle comme langue officielle.
Rien que la généralisation de l’enseignement de l’amazighe au primaire nécessite, pas moins de 16000 enseignants.
Tous les établissements et institutions étatiques ou privées (Ministères, Communes, Centres culturels, bureaux d’études…) ont besoin de cadres formés en amazighe.
Ils ont également besoin de personnes qui peuvent élaborer des stratégies de développement et au cœur d’elles se situe la culture amazighe.
Il n’est pas sans importance de citer que l’absence de conscience en matière de ce que la culture pourrait générer comme capitaux fait que l’idée d’une entreprise culturelle ne trouve pas encore la place qu’elle mérite dans le domaine des investissements.
Question 4 : Quelle est la situation de la formation académique dans le domaine amazighe au sein de l’université marocaine?
Les études amazighes dans l’université marocaine ont connu un saut considérable depuis l’avènement du XXIe siècle.
Le discours royal d’Ajdir en 2001 a ouvert les portes à ce changement marqué par la création des filières (devenus département) et masters amazighes à partir de 2006/2007.
Jusqu’à nos jours, ces filières ne sont pas généralisées à toutes les universités marocaines, notamment les facultés des langues, lettres et sciences humaines. Pour cela, les professeurs spécialistes de cette langue sont appelés à monter des projets de filière ou master pour les études amazighes au sein de leurs universités.
L’attractivité de ces filières varie selon les universités, en rapport certes avec les caractéristiques du milieu socioculturel de chaque faculté, mais surtout en rapport avec l’évolution des débats autour de l’amazighité en dehors de l’université.
Les obstacles qu’affronte l’enseignement de l’amazighe depuis 2003 sème des doutes chez les étudiants sur l’avenir des lauréats de cette formation, dont l’ultime objectif est d’être enseignant de l’amazighe.
Depuis deux à trois ans, le nombre d’inscrits a connu une augmentation importante. Parmi les avancées je cite l’ouverture des filières amazighes au sein de l’Ecole Nationale de l’Education et de la Formation. Dorénavant, les enseignants de l’amazighe doivent absolument être lauréats de cette Ecole.
Au niveau de la formation doctorale, des dizaines de doctorat sont soutenus notamment en linguistique et littérature amazighes et les premiers docteurs commencent à intégrer les universités comme enseignants chercheurs au sein des filières ou départements amazighes.
Au niveau de la production scientifique, des nouvelles revues (papier ou numérique) spécialisées dans le domaine amazighe voient le jour et contribuent ainsi au renforcement du champ des études amazighes.
Les spécialistes de ces études, appartenant à d’autres départements (français, anglais, arabes, histoire…), continuent à alimenter la bibliothèque amazighe.
Enfin, je ne peux que souhaiter que les jeunes chercheurs, qui remplaceront la génération des fondateurs des études amazighes qui parte à la retraite, soit à la hauteur des attentes.
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