A l’affiche : Oppenheimer de Christopher Nolan..Le tumultueux destin du père de la bombe A
- Mohammed Bakrim//
« Maintenant il faut rendre Los Alamos aux indiens »
Robert J. Oppenheimer (1904-1967)
Comment ne pas aller voir le nouveau film de Christopher Nolan, Oppenheimer ? Pour toute une génération de jeunes cinéphiles, c’est quasiment une figure imposée.
Un rituel dans le parcours de réception de films qui portent indéniablement une signature, une forme de reconnaissance et de culture partagée entre les initiés. Certains n’hésitent pas à mettre son film Interstellar (2014) en haut du podium.
Il faut dire que le cinéaste ne cesse d’alimenter et d’enrichir sa démarche de signes de reconnaissance qui consolident la « tribu » dans son adhésion.
Mais Oppenheimer ce n’est pas que cela. C’est une grosse opération de marketing qui fait qu’on ne va pas voir un film mais plutôt assister à l’événement cinématographique de l’été.
Opération de marketing montée comme une épreuve de course/compétition avec l’autre événement, la sortie de Barbie (Greta Gerwing).
En outre la date de sortie n’est pas tout à fait innocente : on n’est pas loin du 6 août triste anniversaire du largage de la bombe atomique sur la ville japonaise de Hiroshima (06/08/1945) et qui sera suivie le 9 août du bombardement de la ville de Nagasaki…
Est ce que la proximité avec ses dates fatidiques explique la tonalité psychologique du film avec notamment un protagoniste tourmenté, mal dans sa réussite et dans son image de « père de la bombe atomique »?
Le film lui-même porte les stigmates du sujet complexe qu’il aborde. C’est une narration chaotique dont la durée relativement longue du film (plus de trois heures) n’arrive pas à structurer.
Certes, les habitués du cinéma du réalisateur britannique savent (et souvent apprécient) que le récit chez lui est porté par un traitement labyrinthique du temps.
Déstructurer la chronologie ; insérer des moments du passé dans le présent ; recourir à des images mentales pour préfigurer la suite de l’action.
Avec Oppenheimer, il revisite le genre Biopic mais pas au sens que l’on retrouve par exemple chez Martin Scorsese.
On suit bien le futur brillant savant dès ses débuts comme étudiant ; ses ambitions et les soubresauts de sa vie sentimentale.
Et surtout ses déboires en tant que savant déchu qui tente de de reprendre une réhabilitation (au sens moral et professionnel).
Mais le montage impose un rythme et un style qui fait que l’on décroche.
Du coup je dirai que ce n’est pas le meilleur Nolan à qui nous avons affaire mais plutôt à un exercice qui offre plusieurs moments de valeur inégale.
Dans Hiroshima mon amour (1959) le cinéaste Alain Resnais et sa scénariste l’écrivain Marguerite Duras posent une question essentielle : comment trouver un traitre médiatique / cinématographique d’une catastrophe majeure, d’une ampleur inouïe?
On ne peut que faire des propositions ; une limite illustrée par la célèbre formule d’Emmanuelle Riva : « Tu n’as rien vu à Hiroshima ».
Ici aussi on ne va pas voir le bombardement mais plutôt ses effets hors champ, dans la conscience de l’initiateur de la bombe.
Dans ce sens une des scènes marquantes du film est celle où l’on voit le président Truman recevoir Oppenheimer, le héros du jour ; il fait la Une du magazine Time sa photo avec le titre « Le père de la bombe atomique ».
L’échange entre les deux hommes est révélateur. Le président fier de son succès militaire.
Il félicite le savant et veut entamer avec lui le débat sur la suite à donner au projet Manhattan, projet qui a permis de créer la bombe (trois ans de recherche, 2 milliards de dollars investis, des dizaines de savants mobilisés, toute une ville secrète reconstruite sur le site indien de Los Alamos).
Oppenheimer, hésite, montre ses réticences et son appréhension quant à une éventuelle compétition meurtrière autour du nucléaire et dit alors au président : « Maintenant, il faut rendre Los Alamos aux indiens » !
Scellant ainsi son destin et ouvrant la voie à sa chute.
C’est l’autre dimension importante du film, celle de mettre en scène, souvent brillamment, les mécanismes du fonctionnement d’un système politique qui sous les apparences du respect des règles et des procédures se nourrit de pièges, de manipulation, de coups bas et de délation.
Le maccarthysme n’est pas loin. Son passé, et celui de sa femme, de compagnon de route du parti communiste américain va être ressorti dans une vaste opération de destruction.
Le récit ne se laisse pas enfermer complètement dans cette atmosphère et offre au personnage des pauses de ressourcement notamment quand il va rencontrer Einstein – dans des espaces ouverts- avec des échanges brefs mais chargés de valeurs notamment autour de la question des certitudes des calculs mathématiques.
Le grand savant se contentant de le mettre sur des pistes ; lui renvoyant ses interrogations.
Et ses doutes. Confirmant ainsi l’hypothèse kantienne que l’intelligence d’un individu se mesure à la quantité d’incertitudes qu’il peut supporter.
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