Culture

A l’affiche : Malikates de Yasmine Benkiran..Briser le rétroviseur…

  • Mohammed Bakrim //

Si on était en Egypte, pays où les différents corps de métiers affichent une grande frilosité à l’égard de l’image que le cinéma véhicule d’eux, le film Reines/Malikates de Yasmine Benkiran aurait été poursuivi en justice par les épiciers traités par le film comme « agents de la DST ».

Lancé à la poursuite de trois femmes en fuite, un des flics dit en effet à sa collègue que nul besoin d’alerter tous les gendarmes du pays puisque « nous disposons du meilleur réseau mondial de renseignements avec les épiciers… ».

Mais on n’est pas en Egypte – heureusement- et l’épicier du coin à d’autres chats à fouetter avec la hausse des prix, la baisse du pouvoir d’achat, la concurrence des grandes surfaces et autres formes de commerce électronique.

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A ce niveau donc, les promoteurs du film n’ont pas de soucis à se faire. Ce qui laisse la voie libre pour d’autres « jugements ».

Cette fois dans la stricte sphère du cinéma, dans sa double dimension, esthétique et culturelle. Que nous dit alors le film de Benkiran à ce propos ?

Dans le sillage d’André Bazin, le fondateur de la critique cinématographique moderne, on peut poser comme hypothèse de travail qu’au sein du cinéma marocain on pourrait distinguer les cinéastes qui croient à l’image et les cinéastes qui croient à la réalité.

Avec son premier long métrage, Reines (France, 2021) Yasmine Benkiran affiche la volonté de s’inscrire indéniablement dans le courant du cinéma de l’image.

Un premier indice dans ce sens, le choix d’opter au niveau de sa forme cinématographique pour un genre fortement codé en termes esthétiques, le road-movie.

Avant de voir quels sont les éléments qui caractérisent ce choix et comment s’effectue le transfert d’un genre essentiellement marqué par son espace d’origine à savoir l’Amérique, je rappelle brièvement que ce choix n’est pas absolument inédit dans la filmographie marocaine.

Dans un registre identique à Reines, (le policier avec un couple en fuite) je pense à l’excellent Mektoub de Nabil Ayouch. Dans un registre différent, je peux citer Cheval de vent de Daoud Aoulad Syad avec ce duo inoubliable constitué par Feu Mohamed Majd et Faouzi Bensaïdi.

Ou encore Le grand voyage de Smail Ferroukhi. Et puis pour rester dans le road-movie féminin je cite Deux femmes sur la route de Farida Bourquia dont les deux protagonistes (Amina et Lalla Rahma) prennent la route et font le voyage dans le sens inverse (du sud du vers le nord) des femmes de Benkiran (du nord vers le sud).

Et un film encore inédit au Maroc, le très attendu Déserts de Faouzi Bensaïdi…

En optant pour le road-movie, la jeune cinéaste s’offre un exercice de style. Cependant, on peut dire aussi que la réappropriation de ce genre très prisé, par une cinéaste, à l’instar de plusieurs autres cinéastes africains notamment à partir des années 1990, indique une volonté de faire accéder un cinéma très peu visible à l’international à une légitimité cinématographique au-delà du partage qui les enferme dans des ghettos.

En d’autres termes, « prouver » qu’un cinéma issu de la périphérie (même si en termes de production stricto sensu le film est majoritairement français) en l’occurrence le cinéma marocain, a les moyens de jouer dans la cour des grands genres.

La première réception du film va dans le sens de cette lecture : voir par exemple les extraits de presse sélectionnés pour accompagner la promotion du film (affiche, abande annonce…).

Mais le cinéma ne se réduit pas à une recette que l’on pourrait transposer au-delà des frontières. C’est un langage universel certes mais nourri de codes culturels.

Le road-movie n’échappe pas à cette règle.  Genre américain par excellence, le road-movie fonctionne aussi comme indicateur culturel.

Il se prête éloquemment à l’illustration de l’état d’une société.

Yasmine Benkiran adopte le schéma narratif du road-movie avec comme point de départ fondateur des personnages qui s’arrachent à un espace-temps initial (social, familial, géographique…) .

En l’occurrence une mère célibataire (Zineb) qui refuse de voir sa fille confiée à la charité sociale, s’évade de prison, enlève sa fille (Iness), kidnappe une jeune mécanicienne (Asmae), elle-même mal dans son couple, s’empare d’un camion et prennent la route toutes les trois. Errance sans repères, précarité…les personnages se dévoilent au fur et à mesure de l’évolution du récit.

Deux scènes me semblent pertinentes qui assurent au film d’un côté un ancrage politico-culturel ; et de l’autre permettent d’aborder le film comme expression d’un point de vue. D’abord, celle du mécanicien chez qui travaille Asmae.

Celle-là même qui va se trouver embarquer dans l’aventure. On découvre le mécanicien en train de réparer le moteur d’une voiture tout en assénant un discours sur le Maroc et les Marocains ( le moteur en panne métaphore d’une société malade ?. L’autre scène est celle du coup du rétroviseur.

Zineb et sa fille ont affiné une méthode pour arnaquer des gens en simulant un accident et accuser la victime d’avoir brisé le rétroviseur du véhicule. Mais au-delà de la dimension anecdotique révélatrice de la nature des personnages et du degré de complicité entre la mère et le sa fille, briser le rétroviseur est une parabole qui éclaire encore davantage le profil des personnages.

Trois figures féminines qui renvoient à un état de frustration et de déception sentimentale et sociale. Asmae, exploitée doublement, se réfugie dans le mutisme ancestral des victimes.

Zineb, mère célibataire (rôle de prédilection de Nisrine Erradi ?) se réfugie dans la révolte par la délinquance.

Iness encore enfant trouve son refuge dans les contes. La présence de personnages incapables de s’inscrire dans un monde qui les rejette donne au film une dimension de scepticisme à la Stanley Cavell.

Le vide quasi désertique que le camion traverse renvoie à un vide existentiel que les différentes rencontres ne parviennent pas à combler.

Le camion volé transporte, ô paradoxe, des paraboles : même avec ce gadget figure d’une certaine modernité qui vient du ciel, les personnages ne trouvent pas leur repère.

Comme cet épicier qui capte difficilement les ondes d’une station de radio étrangère, en déphasage total avec son environnement. En brisant le rétroviseur, les personnages signent leur perte car ils n’aboutissent que vers le vide (même l’océan reste loin dans l’horizon) ; vers la mort.

En fait, la fuite vers les grands espaces du sud se révèlent un huis clos : doublement enfermées, ces femmes. Enfermées souvent dans des véhicules, le camion, la voiture…

Un grand écrivain disait que le voyageur moderne transporte avec lui sa prison ! et enfermées dans le schéma/ les rôles que le scénario leur impose.

En confrontant ses personnages à l’extériorité absolue qu’offre le voyage (l’altérité), le film pâtit de ce que je pourrai qualifier d’un regard exotique, néo-orientaliste sur la réalité censée constituer le background culturel du film.

Un catalogue de clichés culturels (sur les institutions notamment : le couple, la prison, la police) et visuels (un peu de Thelma et Louise, un peu d’ X-files…) empêche le film de se constituer en projet autonome avec ses maladresse endogènes et sincères sans recours à des béquilles usées par d’autres approches qui condamne notre jeune cinéma, comme les personnages du film, à une extériorité absolue.

          

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