
D’un film à l’autre: Mettre le monde en mode pause
- Mohammed Bakrim //
« Toute représentation est une fausse représentation » – Edward Said
Oui, à l’instar du grand art, le cinéma nous invite à mettre le monde en mode pause ; non pour se réfugier dans un exil métaphysique ou mystique mais pour instaurer vis-à-vis du flux de sensations qu’il charrie, via les systèmes médiatiques, une distance critique. Pour ne pas subir mais pour maîtriser.
Le cinéma art de la mise en scène par excellence est le mieux placé, en effet, pour nous soutenir dans cette approche distanciée du monde pour débusquer les différentes mises en scène qui se jouent des drames du monde
Le mot du président du jury lors de la cérémonie d’ouverture offrait déjà une indication dans ce sens quand il a rappelé que dans sa jeunesse cinéphile il voyait trois à quatre films par jour. Il regardait en rêvant de faire ces films ; et surtout, il les regardait en se posant ces deux questions, toujours d’une grande pertinence : pour quoi la caméra est placée là (c’est-à-dire la question cruciale du point de vue) ? Et pourquoi le cinéaste coupe la scène à cet endroit et non pas dans un autre (c’est-à-dire l’autre question cruciale, celle du montage) ?
L’avantage d’un festival est de permettre de voir des films ; beaucoup de films. Ce faisant, le festival est un excellent chantier d’éducation du regard. En inscrivant la vision des films dans l’accumulation et non dans la simple succession mécanique de la programmation, il permet de faire dialoguer les images, d’interroger un film à partir d’un autre et de former à l’esprit critique loin du discours promotionnel.
Dans cette perspective on pourrait par exemple mettre en parallèle deux films qui s’inscrivent dans cette interrogation sur la place du regard face à une thématique forte. A savoir, le film d’ouverture, Dead man’s Wire (la corde au cou) de Gus Van Sant et le film de Kaouther Ben Hnia, La voix de Hind Rajab. J’avancerai même d’emblée mon hypothèse à savoir que le film de Gus Van Sant permet de mieux voir le film de Ben Hnia et de révéler les enjeux réels de sa mise en scène.
Les deux films soulignent dans leur générique qu’ls s’inspirent soit d’une histoire vraie (le cas d’un fait divers qui a défrayé la chronique aux Usa dans les années 1970) soit d’événements réels à Gaza. Dans ce dernier cas, il est même ridicule de le rappeler dans le générique puisque le titre du film renvoie à un drame qui a fait l’actualité des médias et autres réseaux sociaux.
Sauf que d’un côté le film de Gus Van Sant ne reste pas au niveau de la représentation du fait divers mais développe une construction qui est in fine une représentation dans un dispositif de critique de la représentation alors que le film de Ben Hnia est une figure éloquente de la manipulation émotionnelle où la dramaturgie s’accapare une tragédie pour la réécrire dans le sens du spectaculaire.
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